Pour la troisième édition de Passions Baroques à Montauban, les 14, 20 et 21 mars 2015 au cœur de la capitale de Tarn-et-Garonne, Jean-Marc Andrieu, à la direction artistique, a concocté un programme généreux de partage entre la musique instrumentale et d’autres disciplines artistiques. Avec une extension toulousaine pour le concert du Messie de Haendel.
MONTAUBAN
Samedi 14 mars 20h30- Temple des Carmes – Messie de Haendel
Vendredi 20 mars 20h30 – Espace Augustins – Musique et Danse
Samedi 21 mars 16h – Espace Augustins – Conférence entrée libre
Samedi 21 mars 20h30 – Médiathèque – Ciné–concert
TOULOUSE
Dimanche 15 mars 15h – Halle aux Grains – Messie de Haendel
Dimanche 15 mars 20h – Halle aux Grains – Messie de Haendel
Voyons un peu le contenu de ce programme :
– Samedi 14, J-M. Andrieu réunira sous sa houlette Les Passions-Orchestre Baroque de Montauban et trois grandes formations vocales toulousaines : A Contretemps (dir. Guy Zanesi), Archipels (dir. Joël Suhubiette), Nota bene (dir. Delphine Armand), ainsi que les solistes Rany Boechat, Leandro Marziotte, Sébastien Obrecht, Julien Véronèse. C’est le Temple des Carmes de Montauban qui accueillera la majestueuse œuvre de G. F. Haendel : Le Messie. Composé en 1741 à Londres, cet oratorio est probablement le plus joué dans toute l’histoire de la musique sacrée. Le livret se présente avant tout comme une majestueuse page de méditation et de prophétie. Cette partition, écrite pour le temps de Pâques, illustre en trois parties successives l’arrivée du Christ, de l’Annonciation à la Nativité, la Passion et la Résurrection. Ce concert, en partenariat avec l’EVAB (Ensembles Vocaux Alix Bourbon) sera également donné dimanche 15 mars à 15h et 20h à la Halle aux Grains de Toulouse.
– Vendredi 20, c’est à la danse contemporaine que Jean-Marc Andrieu mariera les musiciens des Passions sur la scène de l’Espace des Augustins. Les quatuors du compositeur antillais le Chevalier de Saint-George dégagent une énergie rythmique fondamentalement liée à la danse. Les Passions et la Compagnie James Carlès s’associent pour exprimer ce magnifique mouvement par un dialogue physique entre la musique et la danse. Pour ce ballet/concert chorégraphié et mis en scène en interrogeant la notion du rituel, James Carlès a choisi trois interprètes singuliers et puissants. Le quatuor des Passions sera composé de trois musiciennes sur instruments à cordes et de J-M. Andrieu à la flûte à bec et percussions. Nul doute que l’esprit et le génie du romanesque Chevalier de Saint-George, surnommé le « Mozart noir », sauront envoûter les spectateurs par cette symbiose artistique.
– Samedi 21, pour un ciné-concert original, les solistes des Passions, dont J-M. Andrieu à la flûte à bec, accompagneront le film muet Tabou de F. W. Murnau (1931), mêlant improvisation et richesse du répertoire baroque instrumental.
Fruit de la rencontre entre le plus grand documentariste au monde, Robert Flaherty, et l’un des plus talentueux réalisateurs de cinéma, ce film est entièrement tourné sur les lieux de l’action, l’île de Bora-Bora, avec les autochtones jouant leur propre rôle, deux pratiques rares à l’époque ; une belle et tragique histoire d’amour en deux parties : le Paradis, puis le Paradis perdu.
Ciné-concert à la Mémo, Médiathèque de Montauban – En partenariat avec Eidos.
Petit rappel : En mai 2014, l’Orchestre Les Passions a effectué une tournée en Amérique latine. Afin de donner suite à cette riche aventure, samedi 21 mars à l’Espace des Augustins, sera proposée une conférence sur le baroque des missions jésuites intitulée « Historiographie musicale des indiens Moxos et Chiquitos de l’Amazonie bolivienne ». Avec Liz Antezana-Hanel, membre du CLEA Civilisations et Littératures d’Espagne et d’Amérique de l’Université de la Sorbonne
Quelques mots sur les artistes responsables de ces magnifiques rendez-vous, et de cet énorme travail !!
« L’intention de la Musique est non seulement de plaire à l’Ouïe, mais d’exprimer les Sentiments, de frapper l’Imagination, d’affecter l’Esprit et de commander les Passions. » Geminiani, 1751
Créé par le flûtiste à bec Jean-Marc Andrieu en 1986, Les Passions – Orchestre baroque de Montauban, est en résidence à Montauban. En 2011 il a fêté ses 25 ans.
Ensemble à géométrie variable, il est spécialisé dans la pratique des instruments d’époque. Sa démarche artistique concilie deux principes : le respect des techniques de jeu anciennes et l’interprétation dynamique du discours musical.
L’offre des Passions est très variée : petites formations instrumentales, grands oratorios, spectacles historiques mêlant parfois diverses influences. L’orchestre brille dans divers répertoires : musique baroque française, italienne, allemande, anglaise …
L’orchestre se produit seul ou en compagnie de chanteurs, sous la direction de son directeur artistique ou sous celle de chefs de chœurs qui l’invitent. Il collabore fréquemment avec des ensembles vocaux, le Chœur de chambre Les Eléments ou le Chœur du Capitole de Toulouse. Il propose d’originaux spectacles avec danse avec la Cie Sophie Carlin (La Forêt Enchantée de Geminiani) ou, avec la Cie James Carlès, sur la musique du Chevalier de Saint-George.
De 2004 à 2011, au cours d’une saison à Toulouse, il a développé divers aspects originaux de la musique baroque et accueilli des solistes renommés.
En France, comme à l’étranger, Les Passions est également reçu dans le cadre de prestigieuses manifestations. En 2011 et 2013 l’orchestre a participé au festival Passions Baroques à Montauban dont J-M. Andrieu assure la direction artistique.
Le Festival de la Chaise-Dieu a reçu trois fois Les Passions, pour son fameux triptyque consacré, à la scène comme au disque, au compositeur Jean Gilles. L’orchestre Les Passions, sous la direction de Joël Suhubiette, a accompagné le chœur Les Eléments pour l’anniversaire de ses 15 ans dans le Magnificat de Bach, concert suivi d’une tournée avec le Dixit Dominus de Hændel. En 2013/2014 J-M. Andrieu et Les Passions ont partagé la scène du Théâtre du Capitole de Toulouse puis la clôture du Festival Baroque de Pontoise avec le Chœur du Capitole (dir. Alfonso Caiani) pour des Motets versaillais de Rameau et Mondonville.
Par ses recherches approfondies, tant musicologiques qu’historiques, et son important travail de restitution de partitions oubliées ou perdues, J-M. Andrieu s’impose comme LE spécialiste de Jean Gilles. Les œuvres majeures du compositeur toulousain que le chef s’attache à mettre en lumière depuis plusieurs années ont fait l’objet de trois parutions successives. En avril 2016, un colloque international sera organisé en partenariat avec l’Université Jean-Jaurès de Toulouse : Jean Gilles et les maîtres du baroque méridional.
J-M. Andrieu poursuit passionnément son travail de découverte et de restitution du patrimoine régional (Toulouse, Ducs d’Aiguillon, Montauban…).
Jean-Marc Andrieu
Jean-Marc Andrieu débute ses études musicales au Conservatoire National de Région de Toulouse où il obtient rapidement les premiers prix de flûte à bec, musique de chambre et solfège. Poursuivant des études de musicologie à Toulouse, il se passionne pour la musique ancienne et part se perfectionner dans le jeu de la flûte à bec et l’interprétation au Conservatoire Sweelinck d’Amsterdam auprès des plus grands spécialistes mondiaux. Il est titulaire des certificats d’aptitude de flûte à bec, de direction de chœur et de directeur de conservatoire.
En 1986, il crée à Toulouse un ensemble instrumental baroque dont la notoriété ne cessera de grandir, et qui deviendra en 1991 l’Orchestre Baroque de Montauban, puis Les Passions en 2003. A la tête de cet ensemble il est régulièrement invité par de nombreux festivals prestigieux.
J-M. Andrieu reçoit en 2008 L’Orphée d’or à l’occasion du 50è anniversaire de l’Académie du disque lyrique à l’Opéra Bastille, en 2009 le Coup de Cœur de l’Académie d’Occitanie des Arts, Lettres, Sciences et Traditions Populaires à Toulouse, en 2010 le Prix Charles Mouly de l’Académie des Arts, Lettres et Science de Languedoc dans les salons du Sénat à Paris.
Au-delà des grands ouvrages (Passion selon Saint-Matthieu de Bach) et d’œuvres connues (Quatre Saisons de Vivaldi) du répertoire baroque, J-M. Andrieu s’attache à faire revivre des œuvres inédites ou oubliées et montre une âme de découvreur de partitions rares pour lesquelles il réalise un très important travail de restitution. Son intégrale, à la scène comme au disque, des œuvres majeures de Jean Gilles est une référence de portée internationale.
Sa double compétence de chef d’orchestre et chef de chœur, l’amène à participer régulièrement à des programmes et des enregistrements de musique baroque ou lyrique tant en France qu’à l’étranger. Il est fréquemment sollicité au titre de membre de jury de concours.
J-M. Andrieu est directeur du Conservatoire de Montauban depuis 1991.
Quelques “infos“ sur l’œuvre–phare de ces journées, le Messie de Haendel.
Le Messie, « oratorio sacré »
Le Messie compte bien, à côté des deux Passions de Jean-Sébastien Bach, parmi les illustrations musicales les plus parfaites de l’écriture sainte. Son titre Messie, est un nom hébreu qui signifie « l’oint du seigneur », celui qui conduit au royaume de Dieu. Haendel va réussir dans cette œuvre la synthèse entre le bel canto de l’opéra italien et l’oratorio avec des éléments de la musique d’église de l’Allemagne moyenne et du Nord, ainsi qu’avec l’anthem ou motet anglais.
A l’encontre des grandes œuvres de Bach, qui donnent à l’auditeur plutôt l’impression d’être des grandes cantates surdimensionnées ainsi que des méditations évangéliques empreintes d’un très fort sentiment de repentir et d’humilité, ce Messie ressemble plutôt à un oratorio sans lien liturgique qui fait se dérouler la vie et le calvaire. Le Christ nous y est présenté dans une sorte de continuum temporel fait du passé, du présent et du futur.
“Et sur son manteau et sur sa cuisse il porte ce nom écrit : ROI DES ROIS ET SEIGNEUR DES SEIGNEURS. Alleluia !” Apocalypse XIX, seize traductions du texte biblique dans son originalité. Après la création de l’œuvre : « Cessez, zélateurs, cessez de condamner ces chants célestes qui permettent aux Séraphins de chanter la louange du Messie. Ne déclarez plus le théâtre indigne de la glorification divine : ces chants bénis confèrent à la musique une grâce nouvelle, font respecter la vertu et sanctifient le lieu. A une harmonie comme la sienne, le Ciel a donné pouvoir d’élever l’âme de la terre et de transformer l’enfer en paradis. » Daily Advertiser 31 avril 1742
En tête de la partition entière, Georg-Friedrich Haendel a écrit « commencé le samedi 22 Août 1741 ». Après le dernier chœur, il inscrit « septembre,12, 1741 ». L’œuvre fut parachevée le 14. Et donc, écrite très rapidement, trop, au goût de son librettiste.
A côte de sa signature, comme Jean Sébastien Bach, il porte sur sa partition le Soli Deo Gloria des églises de la Réforme, ce SDG qui marque son appartenance au troupeau des fidèles rachetés.
Le Messie est créé le mardi 13 avril 1742 au “Music Hall” sur Fishamble Street à Dublin (Irlande), inclus dans une tournée de concerts sur invitation du vice-roi d’Irlande. Il est donné avec succès au profit de trois institutions charitables de la ville.
Le Dublin Journal publiera une longue critique élogieuse : « Les mots manquent pour exprimer la joie intense que l’œuvre procura au public admiratif venu en foule. Le sublime, la grandeur et la tendresse adaptés aux mots les plus élevés, majestueux et émouvants, concoururent à transporter le cœur et l’ouïe. »
Le Messie est classé parmi les oratorios sacrés. C’est une œuvre de musique vocale et instrumentale à caractère dramatique et sujet religieux, ne faisant pas, contrairement à l’opéra, l’objet de représentations scéniques. Si l’on met de côté les oratorios haendéliens à caractère “héroïque” ou “narratif”, le Messie appartient à la catégorie dont le sujet véritable, transcendant toute situation humaine particulière, met en situation la relation de l’Homme avec son Dieu. Il est précédé alors d’Israël in Egypt (1740) et sera suivi de l’Occasional Oratorio (1746).
Il est écrit au départ pour 2 soprani, dont 1 voix de garçon, 2 contre-ténors, 1 contralto, 1 ténor, 1 basse, soli. Un chœur à 4 pupitres. Orchestre à cordes doublé “ad libitum” dans l’ouverture et dans les chœurs par des hautbois et des bassons se joignant à la basse continue; 2 trompettes, timbale et basse continue.
Les paroles proviennent entièrement de la prose noblement cadencée de la Bible anglaise : la Authorized Version de 1613. Plus occasionnellement, le librettiste Jennens s’appuie sur la version de la Grande Bible de 1539, celle que conserve le Livre des Prières anglican. Auteur de la compilation, Jennens, nobliau riche et vaniteux, combine adroitement les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il cherche à illustrer l’accomplissement des prophéties du Messie de l’Ancien Testament dans les événements évangéliques. Il sépare l’oratorio en 3 parties, d’une durée totale d’environ cent quarante minutes.
Quant à LA version, à ce jour, il n’en existe aucune dite définitive.
Un Oratorio parmi 32 : précédé de Saül (1739) et Israël en Egypte (1739) ; suivi de Samson (1741), Semele (1743), Belshazzar (1745), Hercules (1745)… tout cela au milieu d’une quarantaine d’opéras, une vingtaine de concertos pour orgue et orchestre, des suites pour orchestre : Water Music (1717) ! Royal Fireworks (1749) ! 3 Te Deum, des Psaumes, des Anthems, Cantates italiennes, Sonates…
L’avant-Messie : Les premiers oratorios publics de Haendel datent des années 1730. Ils répondent à un besoin précis. Son entourage, comme un Aaron Hill, dès fin 1732, lui conseille vivement de renoncer à l’opéra italien et de composer pour la scène anglaise. Ce seront donc des réponses positives avec Esther, Athalia, Deborah… Mais ce type d’œuvre ne convainc pas encore son auteur, et jusqu’en 1737 le théâtre italien reste tout à fait obsessionnel dans ses envies créatrices. Le voyage alors d’un Haendel tout jeune dans l’Italie du moment, Venise-Florence-Rome, avait laissé des marques profondes. Ses rencontres avec Corelli et Scarlatti y avaient sûrement contribué.
Mais voilà, l’opéra n’en finit pas d’être déficitaire. Par contre, quelques soirées d’oratorio rapportent. Pas de décors, pas de machines, pas d’insensées prétentions financières de “rossignols dorés” venus d’Italie. Davantage de chœurs ? Mais là n’est pas la plus grosse dépense. Par contre un public plus vaste est à même de mieux suivre puisqu’on chante en anglais et non plus en italien – comme dans les opéras. La catastrophe financière de 1737 achèvera de déciller Haendel jusque là encore aveuglé par sa passion.
Et si sa vie au service de l’opéra a duré en somme plus d’un quart de siècle, il ne va servir l’oratorio véritablement, que sur une quinzaine d’années, mais avec quel débit. Un débit facilité peut-être par une pratique alors très commune à l’époque chez les musiciens : les emprunts ! Ceux-ci pouvaient s’adresser à deux types de sources : soit étrangères, soit personnelles. Haendel, tout comme Bach, ne s’est pas gêné. Juste deux exemples avec, la Serenata de Stradella qui subit une transcription pour le Messie, et l’utilisation du chœur lui-même qui n’est pas indemne de matériau d’emprunt plus ou moins adapté d’une œuvre antérieure comme l’Allegro.
L’Après-Messie, ou plutôt, l’après-oratorios de Haendel. Et tout d’abord la carrière à deux versants de ce “grand ours” de cette « lourde face emperruquée, de ce tonneau de porc et de bière qu’on appelle Haendel » dixit Hector Berlioz ! La carrière donc de ce “géant du passé” nous laisse un double héritage. Compositeur d’opéras il fut un belcantiste prodigieux. La liaison se fait d’elle- même entre ses compositions et celles des Italiens qui jusqu’au milieu du XIXe siècle ont fait planer la voix au-dessus d’orchestres plutôt banalisés. Le vrai héritage haendélien est dans la leçon de liberté que ses oratorios donnent aux musiciens des générations suivantes. Dès 1787, la masse de ses œuvres fait l’objet d’une édition complète ; ce sera donc un des rares auteurs qu’ils auront bien connu. Certains éclairent à la lumière de ce « Maître sans égal entre tous » dixit Beethoven, la Flûte enchantée, avec sa géométrie variable d’ensembles et de solistes. D’autres lisent à travers lui, dans Fidelio, le Chœur des prisonniers et de la scène finale.
Finalement, en abandonnant son propre théâtre-opéra, il ouvre grandes les portes de ce qui va devenir la scène lyrique pendant plus d’un siècle à venir. Lui qui plus qu’un autre a combattu pour le génie du théâtre italien, s’y ruinant et la santé et financièrement, a monté des oratorios pour… ruiner l’opéra. Il en détruit le côté absolu et quasi-mythique.
Le drame baroque inspiré du Tasse fait place au mélodrame romantique. Notre pensée actuelle s’est tournée pendant longtemps et presqu’exclusivement vers les opéras du XIXe siècle. Elle est aussi extrêmement sensible aux oratorios de Haendel alors qu’elle s’est détournée des opéras de ce dernier ; et ce n’est pas ici, une question de langue utilisée. Ils ne font plus trop vibrer notre sensibilité. Jusqu’à quand, car un virage semble être pris tout récemment ? L’éventail des opéras montés sur scène s’est considérablement ouvert.
Quelle interprétation du Messie ? Question fondamentale et qui prend davantage d’acuité encore avec certaines réalisations récentes. Le Messie est un oratorio mais est-ce « un oratorio de masse»? Au XVIIIe siècle, ces partitions étaient données avec des effectifs plutôt réduits ; raisons financières ? de recrutement ? de difficultés de déplacement ? d’instruments disponibles ?
Quant au goût du public, il évolue lui aussi. Haendel en a fait lui-même les frais, adoré d’abord pour ses opéras, puis rejeté, puis adulé à nouveau avec ses oratorios, enfin revenu en grâce totale quelle que soit l’œuvre présentée. Alors, les compositeurs s’adaptent, les défunts ont leur partitions un peu pillées ou arrangées, comme celle du Messie réorchestrée par Mozart qui, ayant trouvé des “vides” a estimé devoir combler. Mais aussi, des sonorités manquantes, alors on rajoute de nouveaux instruments (clarinettes,…), et puis, on réécrit quelques arias… C’est ainsi la porte grande ouverte à de nombreuses tentatives plus ou moins heureuses. D’un côté, un point culminant avec les grandes machineries post-romantiques, une course au gigantisme dont le résultat est, obscurcissement des accords et des mélodies. De l’autre, un dépoussiérage total, on dira même décapage pour certaines versions avec pour résultat, ascétisme, dramatisme excessif, froideur mécanique, lumière plus crue que celle ardente de bougie. Sans parler de véritables bouleversements dans l’ordre des numéros, ou l’amputation de quantités.
Finalement, d’une manière ou d’une autre, toute exécution du Messie procède d’un choix délibéré du chef. Il donne ainsi SA propre version de l’œuvre que ce soit en raison des coupures, de la modification radicale de la taille de l’orchestre et/ou du chœur, des différences d’instrumentation, des arias et récitatifs attribués à telle ou telle tessiture, etc…, de l’ordre même !
A sa décharge on peut toujours se retrancher derrière le fait qu’Haendel n’a pas établi lui-même le « livret ». Pour la première fois, voilà un compositeur qui propose non pas une description, une « narration » d’un événement à caractère religieux, fondée sur les Evangiles mais, prenant de la hauteur, se livrant à une « méditation » sur l’événement lui-même, sur le Christ, l’Au-delà, le mystère de la Résurrection. Il se base par exemple sur des Psaumes qui correspondent à cet état d’esprit. Il trouve en Isaïe et en Saint Paul des librettistes bien supérieurs à tous ceux qui avaient pu lui servir jusqu’alors. Sur des paroles dont il saisit la beauté, le compositeur construit une musique qui puise son efficacité dans sa simplicité même. Et pourtant son accent en langue anglaise était paraît-il épouvantable !
Le Messie n’est pas un oratorio de la « Nativité » ou de la « Passion » (comme chez un J.S. Bach)
mais une réflexion en profondeur sur le message du Christ. Haendel ne se contente pas d’y raconter l’expérience humaine de Jésus dans les quelques trente-trois ans qu’a duré sa vie terrestre. Il tente de commenter l’aventure du salut par le Christ dans la perspective de l’histoire toute entière de l’humanité. Cette façon de basculer du plan de l’événement dans celui de l’eschatologie est peut- être ce que le Messie apporte de plus nouveau.
Enfin, même si c’est une œuvre dont la version originale n’existe pas (car bien trop sujette à débats), même si les conditions globales suivant lesquelles on l’exécute ou on l’entend ont bien changé depuis Haendel, même si c’est une œuvre extrêmement morcelée (jusqu’à cinquante-deux numéros) à la cohésion difficile à mener, et l’édition musicale bien délicate, même si, etc,… il n’en reste pas moins que le Messie, lu comme un sermon, se divise en trois parties :
A. La Nativité. L’ordre de Dieu. La paix de la brebis dans le troupeau. La douceur du sacrifice accepté.
B. La Passion. L’indicible douleur du sacrifié. L’ordre de Dieu refusé. Le combat du Bien et du Mal. La victoire finale. Alléluia
C. La mort dépassée La Rédemption posthume dans le sang de l’agneau. La félicité de l’Amen et les Bénédictions.
Ces trois parties se divisent en scènes qui se succèdent, séparées ou non par des chœurs qui sont là, et pour amener la scène à son zénith et pour la clore, ou dans certains cas, amener la scène suivante. N’oublions pas qu’elles correspondent à des textes alors pratiquement connus de la totalité des auditoires du XVIIIe siècle.
A part l’annonce aux bergers, les textes s’appuient donc sur des Psaumes dans les deux premières parties, sur les Prophètes, sur Saint Paul (Epître aux Corinthiens, XV) dans la troisième partie, et sur le récit de l’Apocalypse de Saint-Jean à la fin. Des pages admirablement choisies qui traduisent l’amour pour la vie des deux auteurs, Jennens et Haendel, même si leurs qualités propres n’en faisaient guère des jumeaux.
Nous trouverons au fil des scènes de nombreuses références à l’acceptation de la souffrance, au dépassement de soi-même, à l’espoir salvateur. Mais au-delà de ces contingences, Messiah reste un hymne à la gloire du Fils de l’Homme, à la gloire de Dieu lui-même. Bien plus encore, l’homme se trouve absorbé dans un monde dont le Christ devient tout à la fois le centre, l’emblème et le phare. Nous ne sommes pas loin des fresques de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine : ampleur de la vision, intensité orante, résonance prophétique. Le Messie n’est pas un oratorio purement « mystique » comme une Messe en si de Jean-Sébastien Bach ou les Béatitudes de César Frank. Il n’incite pas à la prière, à genoux. Il pousse davantage vers une foi qui clame sa certitude et devient épique.
« En écrivant l’Alléluia, j’ai cru voir le ciel s’ouvrir et Dieu paraître devant moi » aurait confessé Haendel lui-même. Si ce Messie est l’oratorio parmi les plus connus et interprétés dans le monde, c’est bien que le public lui reconnaît une beauté exemplaire, un élan majestueux, un achèvement parfait, et lui inspire une émotion vivante, soutenue et renouvelée à chaque audition. Sûrement parce que chaque instant a du être vécu, ressenti par le compositeur lui-même dans un frémissement de tout son être, celui qui le faisait sangloter en écrivant l’admirable air pour contralto : « He was despised and rejected of men » (Il fut méprisé et abandonné des hommes).
Livrons-nous à quelques commentaires sur quelques numéros : Une Ouverture de type “lulliste”, à la française avec une merveilleuse modulation qui s’ouvre sur l’espérance prophétique d’Isaïe.
Puis le premier récit du ténor éclaire ce coloris plutôt sombre : Comfort ye, my people, saith your God, l’air Every valley shall be exalted et le chœur splendide And the Glory of the Lord shall be revealed suivent finalement Isaïe promettant la délivrance à Israël.
Le récit et l’air de basse, escorté de tonnerre, font parler le Dieu des années. C’est le motif de cet air qui suscite le chœur fugué And he shall purify the sons of Levi.
Isaïe, par la voix de mezzo annonce le Messie, tandis que le chœur va faire écho à cette joie. Haendel amplifie l’aria solo en chœur complet, ce qui accentue encore l’imminence de l’avènement. Pourtant, pathétique, la basse solo rappelle dans quelle nuit souffre encore et rampe l’humanité. Une écriture superbement expressionniste nous y invite. For, behold, darkness… : Voici, les ténèbres couvrent la terre, et l’obscurité les peuples…. Poignante est ainsi l’errance de la musique, mais redressée ensuite comme sous l’égide du Sauveur.
Avec un calme confiant, la basse glorifie la lumière divine qui luira dans les ténèbres. C’est l’aria The people that walked. Soudain, le chœur célèbre la naissance de l’Enfant, propageant la nouvelle dans la jubilation, acclamant « l’Admirable, le Conseiller, le Dieu puissant ».
Faisant contraste, c’est toute la douceur d’une Sinfonia pastorale, inspirée parait-il d’un thème de bergers calabrais que Haendel avait noté sur place en 1709, la Pifa étant une sorte de “chalumeau” calabrais. C’est le prélude à l’un des plus pénétrants épisodes de l’œuvre. On suit aisément la narration de Saint Luc par les récitatifs si expressifs de
la soprano. Manque tout de même à cette narration, le passage qui suit comme si Haendel (et Jennens ?) avait voulu supprimer quelques détails “terrestres” concernant le Christ : Et vous le reconnaîtrez à ce signe : vous trouverez un petit enfant emmailloté et couché dans une crèche (Luc 2,12).
(…)
Le Chœur ouvre le second volet de la deuxième partie. Un air, non donné, nous a annoncé que le Seigneur va établir Sa demeure parmi les hommes avec le mot «dwell» qui devient ainsi une annonce de l’Incarnation. Le chœur diffuse la bonne nouvelle The Lord gave the word («Le Seigneur cria la nouvelle»). Le mot «word» par son ambiguïté dans la langue anglaise est indifféremment le verbe, l’ordre et la nouvelle. Suit un air de soprano d’une formidable tendresse, sorte de sicilienne transfigurée : How beautiful are the feet of them. Puis, le chœur reprend la partie initialement attribué au ténor : Their sound is go out into all lands. Il nous prépare au drame imminent.
En contraste, voici l’ère des persécutions avec l’air de basse «Why do the nations». L’opéra haendélien est là dans cette association de bravoure vocale et d’agitation en doubles croches des cordes: c’est l’aria furiosa.
A cet air enfiévré donc d’orage par l’orchestre répondent les clameurs de révolte du chœur. Mais les récitatif et air du ténor répliquent sur ce texte qui peut étonner par sa brutalité : Celui qui siège dans le ciel se rit de leur fureur ! Il rit puis il les épouvante. Et de son sceptre, il les brise tous. La colère de Dieu est effroyable.
Au niveau de l’écriture tout contribue à une montée en puissance d’énergie contenue ; tout cela pour mieux asséner le prodigieux Alléluia : Hallelujah ! qui suit. C’est le couronnement du triomphe d’une humanité associée à son Dieu dans Sa victoire. Dans ce ciel ouvert qui flamboie, le Christ se montre à nous dans son décor de gloire. La dernière partie parvient à ne pas faire figure d’épilogue abstrait après tant de puissance déployée, et de telles mesures de musique visionnaire. C’est tout de même la partie qui peut subir le plus de coupures même si elle nous réserve de très belles pages, très émouvantes, comme l’aria de la soprano I know that my Redeemer liveth, jamais retouchée et qui introduit le mystère de la Rédemption, la plus belle de toute la composition. Emouvants, saisissants les chœurs alternés dialoguent entre angoisse et certitudes Since by man came death. Ce don de poésie prophétique, Haendel le révèle encore dans les quelques mesures du récitatif accompagné de la basse : Behold, I tell you a mystery… toujours emprunté à l’apôtre Paul : (Voici, je vous dis un mystère) … tous nous seront changés en un instant, au son de la dernière trompette. Aussi l’air The trumpet shall sound donne-t-il lieu de façon tout à fait naturelle à un somptueux “trumpet tune“, seul vrai solo instrumental de tout le Messie, sensé évoquer la Résurrection des corps glorieux. Mais c’est à l’Apocalypse (V, 12-14) que le chœur suprême Worthy is the lamb that was slain demande ses monumentales acclamations, tout de même moins fulgurantes que celles de l’Alléluia, d’abord pour éviter une redite préjudiciable à l’équilibre de l’œuvre (deux fois dans le dernier tiers de l’œuvre). C’est surtout qu’il s’agit maintenant de peindre la plénitude et le calme de l’Eternité. La structure en triptyque ici encore dans ce chœur va nous rendre plus sensible la progression de cette “nécessité” musicale : d’abord une sorte de choral entrecoupé d’élans fiévreux, ensuite un fugato où s’ordonne et se rassemble la louange universelle, enfin cet Amen fugué dont Romain Rolland aurait dit qu’il couronne l’oratorio « comme un dôme de Saint-Pierre ».
Michel Grialou
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