J’ai un rapport certainement mystique à l’art. Qu’il soit musique, dessin, installation, peinture ou cinéma, l’art sous toutes ses formes véhicule des messages qu’on serait bien avisé d’écouter. Si je vous parle de mysticisme, c’est que j’ai longtemps eu l’impression que les idées flottaient dans la stratosphère et que les artistes les captaient, via de subtiles antennes.
Je suis revenue de cette théorie, les artistes sont surtout bien plus sensibles et attentifs au monde que le commun des mortels. Une chose est sûre, les films ou les livres que vous devez rencontrer arrivent (presque) toujours au bon moment, parce que vous étiez prêts. Pour certains, ils sont même au diapason d’une terrible actualité.
En cette année 1954 où l’Algérie se prépare à vivre des événements qui la changeront à jamais, Daru est l’instituteur d’une petite vallée perdue au milieu de l’Atlas. Loin des conflits qui grondent, des tensions qui montent, son unique préoccupation est la transmission du savoir auprès des enfants de bergers.
Alors qu’il ne souhaite en aucune façon être mêlé aux affrontements opposant colons et algériens, on lui amène Mohamed, accusé du meurtre de son cousin et qui doit être escorté jusqu’à la ville la plus proche afin d’être jugé.
Daru va d’abord refuser cet homme et le fardeau qu’il représente. La suite des événements va le pousser à prendre parti, à son corps défendant.
Il est certain que Loin des hommes prend une résonance toute particulière dans le contexte actuel.
En choisissant d’adapter librement une nouvelle d’Albert Camus ( » L’hôte » extraite de » L’exil et le royaume « ), le réalisateur français David Oelhoffen n’a pas peur de se frotter à un monument de la littérature. Mais c’est surtout un des rares metteurs en scène hexagonaux* qui aborde le thème de la colonisation en Algérie, les tensions qui en découlent et le rôle (plus que barbare) du gouvernement français et de l’armée face aux rebelles.
Même s’il n’en fait pas le seul cœur de son sujet (puisque le film débute à une époque où les événements n’en sont qu’à leurs prémices), on ne peut occulter le conflit qui se prépare et les questionnements qu’il engendre.
Ainsi ce sont des thèmes plus métaphysiques et basiques dans le même temps qui traversent le long – métrage : la peur de ce que l’on ne connaît pas, l’absence de communication, la façade des apparences, les différences qui dérangent …
Pour parvenir à ses fins, David Oelhoffen offre un film garanti 100 % » absence de discours pontifiants à l’intérieur « , un film souvent silencieux que viennent ponctuer les magnifiques morceaux écrits par Nick Cave et Warren Ellis et l’étrange beauté aride des paysages.
Ici, les actes des hommes parlent pour eux.
Comme David Oelhoffen a oublié d’être couillon, il a choisi deux comédiens particulièrement intenses pour incarner ses personnages principaux : Reda Kateb et Viggo Mortensen.
Le premier fait parler de lui depuis plusieurs années par ses choix investis (Un prophète, À moi seule, Hippocrate …) et commence gentiment à se montrer incontournable dans le paysage du cinéma français. Le deuxième, on ne le présente plus, mais il est toujours bon de rappeler à quel point cet homme est fantastique dans chacun de ses rôles.
Je ne vais pas m’emballer en surqualifiant Loin des hommes. Pourtant, désigner ce film de profondément humain ne paraît pas galvaudé. Et même assez réconfortant en cette période troublée.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio
* : En comparaison d’autres pays (nos voisins d’Outre – Atlantique notamment), nous avons du mal à aborder les pans sombres de notre histoire.
David Oelhoffen n’est toutefois pas le seul à évoquer le sujet difficile de la guerre civile en Algérie. Des metteurs en scène français l’ont traitée de façon très frontale. En vrac : L’ennemi intime de Florent Emilio Siri, Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier ou La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (liste non exhaustive).