Théâtre Daniel Sorano
Caubère et Benedetto : le « off » et le « in »
Philippe Caubère revient au Théâtre Sorano qu’il connaît bien, pour y avoir souvent déroulé ses truculents souvenirs de l’ère Ariane Mouchkine. Cette fois-ci c’est pour « jouer André Benedetto ». En fait dans une nouvelle danse du diable il essaie d‘entrer par mimétisme, et solidarité marseillaise, dans la personnalité volcanique de ce trublion du théâtre et du festival d’Avignon. André Benedetto à la gueule d’ange fut aussi un hurleur, qui proférait ses invectives théâtrales en plus de 200 pièces bien oubliées aujourd’hui, car plus proches du slogan et de la démonstration politique que de la construction théâtrale, et surtout trop datées dans une époque.
Ce mélange du chamanisme à l’Antonin Artaud, pris dans le surgissement libertaire de mai 1968, mais aussi acteur exalté de la croisade de la culture occitane, trouve sa meilleure réalisation dans ses poèmes entre rock et transes qui se trouvent rassemblés dans son livre des années 1970 : Urgent crier, suivi de les poubelles du vent. Un souffle puissant, à la Serge Pey son ami, anime alors le cri de ce pilier du festival d’Avignon, fondateur du théâtre des Carmes qu’il dirigea de 1963 à sa disparition le 13 juillet 2009, juste au moment de l’ouverture du festival « off » dont il était l’incontestable président.
Philippe Caubère, qui débuta à 16 ans sous les ordres de Benedetto sa trajectoire théâtrale, lui rendit donc hommage lors du festival d’Avignon 2011, et depuis il promène en France ce spectacle qui se veut fraternel et quasiment amoureux. Accompagné par les musiques aux guitares de Jérémy Campagne, des projections vidéo touchantes, il arpente les planches et la mémoire d’une époque.
Mais après ses presque deux heures d’occupation torride de la scène, avec quelques trous de mémoire bien sympathiques, a-t-on une juste idée de qui fut André Benedetto ? Et Caubère joue-t-il Benedetto ou Caubère ?
On peut s’interroger, car les choix faits par Philippe Caubère dans le livre de son ami et de son maître, ne peuvent rendre compte par exemple, de l’engagement occitan plus tardif que 1966, date d’écriture du livre. Ils portent sur les figures centrales de Jean Vilar, d’Antonin Artaud et d’un grand critique de théâtre que fut Gilles Sandier, aussi de conseils puérils aux machinistes dont on aurait vraiment pu se passer.
Et Caubère en nationaliste du Sud, et de Marseille en particulier rend hommage, en reprenant son accent d’origine aux acteurs du Sud, à la lumière du Sud. Et sa voix se veut mimétique de celle d’André Benedetto au risque de tomber souvent dans la caricature et de refaire plutôt un chapitre de ses propres spectacles que de restituer l’homme de théâtre André Benedetto.
Je n’ai jamais perçu que Jean Vilar ou Antonin Artaud fussent avant tout des « acteurs-sud », bien que nés soit à Sète, soit à Marseille. Paris ou le Mexique expliquent mieux leur parcours.
Dans la séquence « Jean Vilar acteur-sud » la convocation de Raimu et de Louis de Funès occulte la réflexion sur la nature de l’acteur. Ce qui pourrait être une méditation devient un sketch marseillais racoleur.
Pourtant les rapports complexes de Jean Vilar et d’André Benedetto seront en fait mieux dits par les vidéos tragiques du festival d’Avignon de 1968 qui vit la mort du père, Jean Vilar et le poignard d’André Benedetto ne fut pas le moins acéré et ses cris de « Jean Vilar = Salazar ! » auront contribué au chagrin fatal du créateur du festival d’Avignon. L’hommage à Antonin Artaud ne brille pas par son originalité, mais au moins on entend la voix de crécelle hallucinée d’Antonin Artaud et on voit son visage. L’autre hommage à Gilles Sandier nous laisse indifférents par méconnaissance des articles de ce critique théâtral et ami d’André Benedetto.
Les moments forts et émouvants du spectacle de Philippe Caubère se situent dans la magnifique lecture, presque en retrait de la scène et dans l’obscurité seul avec un micro, des mots-brûlots des poèmes, du très beau texte Pourquoi je joue sur la signification thérapeutique du théâtre aussi bien pour l’acteur que pour le spectateur. Ainsi Benedetto écrit : « Plus la tempête est grande sur la scène, plus le héros est malmené et plus il sert de phare pour faire le point à tous ces immobiles dans le silence de la salle, très agités à l’intérieur d’eux-mêmes et très désemparés… Le théâtre, ça les soulage et ça les éclaire dedans. On peut alors penser qu’ils deviennent un peu meilleurs tous ensemble. »
Mais c’est surtout la longue séquence vidéo sur juillet 1968 en Avignon où émergent la pathétique figure de Jean Vilar, et le visage de rock star d’André Benedetto qui nous touche.
Alors que dire de ce spectacle ?
Bien sûr le charisme dévastateur de Caubère emporte tout, au risque de trop faire l’histrion. Mais Caubère est sincère, brûlant, empathique au point d’imiter la voix d’André Benedetto. Mais on a plus vu un spectacle de Caubère que la restitution de l’homme de théâtre sulfureux, André Benedetto. La raison tient autant à la personnalité débordante de Caubère qu’au choix maladroit des extraits du livre Urgent Crier qui aurait dû mieux cerner ce généreux bonhomme volcanique que fut André Benedetto, éternel jeune homme en colère, éternel indigné.
Ah si Caubère avait pu lire plus de poèmes de Benedetto !
Gil Pressnitzer