Bach Messe en si BWV 232 par Sigiswald Kuijken
Une Messe en Si dogmatique, anorexique, mais fervente
La grande Messe en Si mineur de J.S Bach accompagne régulièrement le Festival Toulouse les Orgues. Cette fois-ci c’est le violoniste baroque Sigiswald Kuijken qui l’interprète avec ses troupes formées lors d’une Académie à Ambronay. Homme de convictions souvent radicales en matière d’interprétation de la musique baroque, il s’affronte à ce monument intimidant avec ses partis pris et ses certitudes éprouvées, alors qu’il est en train de clore une intégrale des cantates sacrées de Bach. Dépassant les approches du musicologue Joshua Rifkin qui fut le premier à militer pour « le retour » à une voix par partie pour le chœur, avec des solistes issus de ce chœur, Sigiswald Kuijken va encore plus loin dans l’ascétisme voulu comme une rédemption de la vérité historique du temps de Bach. Cette vérité est loin d’être prouvée, même si cette tendance commence à se répandre. Ainsi Minkowski dernièrement en donna une interprétation à Toulouse conforme à ce nouveau canon, mais avec un orchestre incomparable, mais aussi le même problème des solistes issus du chœur, et donc trop fragiles pour assumer les parties solistes.
Car si la fraîcheur et l’engagement des jeunes professionnels issus de l’Académie d’Ambronay saute aux oreilles, la marge de progression est encore grande. De plus la stricte obéissance à ses propres dogmes fait que Sigiswald Kuijken ne dirige pas l’ensemble, si ce n’est que du bout de son violon inséré dans l’orchestre, et cela s’entend par bien des décalages et des approximations. Lui-même n’est plus d’une assurance totale au violon et d’ailleurs humblement il cède la partie de violon solo au second violon. Il en cassera d’ailleurs une corde à son violon.
Mais le nœud du problème se situe dans l’équilibre global de la restitution de l’œuvre. Et on peut reprocher à Sigiswald Kuijken de n’avoir pas été plus radical ! En effet adopter le schéma d’une voix par partie, alors que la plupart des instruments sont doublés, conduit les cinq pauvres chanteurs à être noyés au moindre tutti de l’orchestre.
La Messe en si a été conçue pour deux sopranos, un contralto, un ténor, une basse, un chœur et un orchestre et sa rédaction s’est étalée sur plus de 25 ans, pour s’achever vers 1748, et il ne l’aura jamais entendu en entier. Aussi prétendre en restituer l’équilibre sonore de ses 27 morceaux avec si peu de matière est hasardeux, car Bach aurait sans doute fait évolué cette partition qui ne ressurgira que grâce à Brahms. Il semble qu’il voulait une œuvre monumentale, ne serait-ce que pour couvrir les affirmations obligées du Credo, pour lui luthérien fervent. Aussi vouloir dégraisser à tout prix le côté solennel est curieux, voire absurde. Certes la clarté des lignes, la transparence des voix, tout cela ressort bien, mais uniquement dans les arias. Dès que l’orchestre tonne, les voix s’effacent. En plus ce ne sont pas de grandes voix.
Mais toutes ses remarques doivent être tempérées par le fait qu’il s’agit d’un travail de stagiaires, tous professionnels, de l’Académie Baroque d’Ambronay qui après avoir travaillé quelques longs mois partent en tournée montre l ‘aboutissement de ce travail. C’est donc plus qu’un résultat de stagiaires, mais moins que la réalisation d’un ensemble professionnel aguerri. Fallait-il le montrer en concert ? Certainement car il y a quelques révélations de lecture, et leur fraîcheur, leur engagement, leurs talents aussi, sont évidents. Mais la Messe en Si n’est pas un motet, et cette montagne requiert des alpinistes et surtout un grand chef, ce que Sigiswald Kuijken n’est pas. Il adopte d’ailleurs des tempi assez lents, surprenant pour un tel baroqueux, et il s’efface complètement, laissant la musique se dérouler seule, mais la musique ne peut pas tout, toute seule.
Alors alternent les moments passionnants, avec les approximations importantes et des fausses notes. Et puis Sigiswald Kuijken n’est pas totalement cohérent, car il donne la fin de la Messe à huit chanteurs, après d’ailleurs avoir changé les cinq chanteurs de la première partie et en employant des solistes féminins. Et on constate que dès que l’ensemble s’étoffe, la messe reprend des couleurs que le régime sec imposé lui refusait jusqu’alors. Et l’on se prend à regretter que cinq chanteurs, plus cinq autres chanteurs, ne fassent que cinq chanteurs par simple permutation des postes. Que ne chantent-ils pas ensemble, comme vers les Hosanna terminaux. Car cette Messe requiert une masse critique pour sonner haut et fort. C’est donc dans les arias de solistes, malgré des voix trop simples, pas assez dramatiques, que les meilleurs moments opèrent (Crucifixus, Benedictus, Laudamus…).
On entend donc souvent des chants d’oiseaux, alors que l’on attend des cohortes d’anges impérieux. On a l’impression de n’assister qu’à une épure. La grandeur est absente, la ferveur est présente, et une certaine fluidité emporte le « Bach » (ruisseau) vers la mer des sentiments. Sigiswald Kuijken retrouve une lecture piétiste et non une célébration catholique comme le désirait Bach. Là où le ciel doit s’ouvrir, il s’entrouvre à peine.
Étrange et souvent prenante interprétation fort singulière, claire et ciselée, avec une deuxième équipe de chanteurs plus homogène lors de la deuxième partie.
Mais si on était à force de diététique abrupte on restait sur notre fin ?
C’est pourtant bien le rôle d’un festival de donner à entendre de tels moments, et non de se conformer à une routine consensuelle. Même si on ne partage point vraiment cette approche, on apprécie d’avoir été bousculé et étonné.
Gil Pressnitzer