Comme je vous aime bien, je vais éviter de vous bassiner encore avec ma théorie du » moins tu te renseignes, mieux tu te portes « .
Pourtant, avant visionnage, je ne savais rien du long – métrage dont je m’apprête à vous causer aujourd’hui, à part qu’il y était question du conflit à Belfast, au début des années 70. Allez savoir pourquoi, j’étais quand même convaincue que la séance qui en découlerait serait fructueuse.
Gary est jeune, fort jeune. Cette jeunesse explique certainement le fait qu’il n’a rien trouvé de mieux pour assurer son avenir que de s’engager dans l’armée britannique (la bonne blague). Une jeunesse et la charge d’un petit frère pour l’instant en transit dans un foyer.
Lui et ses copains sont envoyés afin de calmer les protestations des catholiques et temporiser les ardeurs des protestants.
Leur première intervention paraît facile. Du haut d’une barricade, quelques gamins les couvrent de noms d’oiseaux, leur balançant des bombes à eau (à l’évidence, plutôt remplies d’urine), l’ambiance restant malgré tout bon enfant.
Quand les soldats doivent sécuriser une rue pour permettre la fouille d’une maison, les adultes s’en mêlent, la tension monte d’un cran.
Ils ne sont pas assez nombreux pour contenir cette foule, soumise à des années de pression en règle. Avec l’un de ses équipiers, Gary est isolé du reste de la troupe. Et s’il veut sauver sa vie, il va devoir courir. Très vite.
Le film du réalisateur français Yann Demange mérite amplement la qualification pourtant assez galvaudée de réalisation coup de poing.
Au premier abord, cela peut paraître étrange qu’un réalisateur gaulois ait eu envie de faire résonner la discorde nord – irlandaise au cœur de son premier long – métrage. Il faut savoir que Demange a passé une bonne partie de sa vie à Londres, ces événements ont donc fait partie intégrante du quotidien de son enfance.
Il faut dire aussi que si ’71 traite bien du désaccord qui opposa les catholiques aux protestants, on peut y voir des parentés avec d’autres conflits, pour beaucoup (malheureusement) très contemporains. Avec ’71, c’est la guerre au sens large qui est visée, son horreur, son inutilité, son absurdité, cette situation ubuesque qui s’installe après des années de rivalité et dans laquelle les éléments déclencheurs se brouillent, où personne ne situe plus vraiment les bons des méchants (pour peu que les 2 existent réellement).
Tout cela passe à travers le regard de Gary, jeune homme encore humaniste, Gary qui va faire un amer et douloureux apprentissage …
Au – delà d’une critique en creux sur la cruauté des combats, ’71 peut se targuer d’être un bon accélérateur de rythme cardiaque. Yann Demange a parfaitement épluché son manuel du » petit cameraman embarqué « , de sorte que vous aurez peu de répit.
Préparez – vous à courir comme un dératé aux côtés d’un Gary tentant d’échapper à ceux qui veulent lui faire la peau (une des courses – poursuites les plus haletantes qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps). Ajoutée à un gros travail sur la photo et le son (tantôt étouffé après une explosion, tantôt assourdissant du crépitement des balles), la caméra sur épaule, fiévreuse, n’en finira pas de vous plonger au centre de l’action.
Loin d’être le seul personnage, Gary est néanmoins le pivot central de cette histoire qu’il porte à bout de bras, brillamment interprété par un tendre Jack O’Connel (II). Jeune acteur irlando – britannique, révélé par la série trashouille Skins, le comédien est actuellement en pleine explosion (il est à l’affiche d’un autre film aux accents tout aussi percutants, Les poings contre les murs). Encore un à qui on pronostique un joli parcours.
Film d’action mais qui ne manque ni de fond ni de cervelle, long – métrage résolument antimilitariste sans être angélique, ’71 vous remuera les tripes, mais pas seulement.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio