Cave-Poésie René Gouzenne
Après avoir frôlé le cap des tempêtes avec la disparition de son démiurge René Gouzenne le 21 juillet 2007, lui qui avait fait de ce lieu conquis sur le salpêtre et l’indifférence, une véritable tanière des rêves, un atelier vibrant de vie, La Cave-Poésie vogue vers le cap de Bonne Espérance en continuant à répandre la bonne parole. Elle sait encore déclencher des houles de paroles qui font profondes vagues en nous.
De toutes les belles initiatives de La Cave-Poésie, une des plus belles et légitimes, demeure, en poursuivant une intuition de René Gouzenne, d’établir toute une saison de paroles dites et données. La cinquième saison (titre d’un recueil de René-Guy Cadou en passant) propose à nouveau quarante lectures sous le titre des « 40 rugissants ».
Et durant 40 mardis à 19h30, quarante lecteurs différents lisent 40 auteurs pendant quarante-cinq minutes.
Cette saison fait surtout appel à des lecteurs remarquables et confirmés, plutôt qu’aux coups de cœur d’amateurs passionnés, car lire est un métier particulier et exigeant, différent de celui de comédien, et demandant une empathie profonde avec un texte nu. Lire est donc un exercice particulier consistant en moins d’une heure à faire entrer et subjuguer un auditeur dans le monde d’un auteur.
Aussi les valeurs sûres et reconnues de l’art de la lecture ont été convoquées (Marc Fouroux, Jean-Pierre Tailhade, Philippe Berthaut, Bruno Ruiz, Pierre Marty, Didier Carette, Cécile Cohen et Régis Goudot du défunt théâtre Sorano sous l’ère Ex-Abrupto, Francis Azema, Maurice Petit, Jean-Claude Bastos, et bien d’autres). Des valeurs sûres de la littérature seront bien entendues défendues, depuis les Poèmes en prose de Baudelaire qui feront passer de merveilleux nuages dans la tête des auditeurs, jusqu’à L’amour fou selon Breton et donc par voie de conséquence sans doute les contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski et se glisser dans la Soie d’Alessandro Barocco. Marguerite Duras, Jean-Pierre Simon, Somerset Maugham, Nancy Huston, Laurent Mauvignier, Alphonse Daudet, seront aussi de la grande guirlande des mots.
Mais des textes plus rares seront mis en voix et en lumière comme l’art poétique de Mallarmé, les itinéraires de Michel Butor, les anachronismes de la langue déjantée de Christophe Tarkos, les liens de famille de Lisector, un récit halluciné de Branimir Scepanovic et d’autres textes peu connus.
C‘est donc à la Cave-Poésie qu’il faut aller se confronter face à face avec les mots nus dits uniquement par le support de la voix. Les livres s’ouvrent alors pour nous, et le pari est réussi quand l’auditeur en sortant se précipite dans une librairie pour acheter le livre qui lui fuit soit révélé, soit rappelé. Ainsi en une époque superficielle où le zapping est roi, la Cave-Poésie fait œuvre de salubrité publique. Peut-être se souvient-on encore que ses locaux furent ceux de la FOL et que le cher René Gouzenne fut aussi instituteur.
L’équipe de la Cave Poésie-René Gouzenne continue donc à défendre les beaux textes, comme il le voulait intensément, passionnément.
Gil Pressnitzer
Site Internet de la Cave Poésie