Je vous ai déjà parlé de mon aversion pour les colonnes Morris ?
Non ? Depuis que nous nous côtoyons, je vous ai déjà abreuvé de tant de mes (passionnants) travers que cela m’étonne …
Vous savez à présent comment je fais ma sélection de films : en en sachant le moins possible (même si bien évidemment, un(e) réalisateur(trice) peut faire pencher la balance), en étant simplement attirée par une photo ou éventuellement une affiche.
Et c’est là que j’en arrive aux colonnes Morris. Elles représentent pour moi la personnification du mal, l’emblème phalliquement dressé du cinéma commercial (au montant que doit représenter un encart publicitaire sur ce mobilier urbain stratégiquement placé, rares sont les petites productions qui peuvent y trouver une place), la colonne Morris symbolise toute la rotondité de la thune, la grosse production qui tabasse.
Quand un film vient s’y balader, je passe tout simplement mon chemin.
C’est bien ce qui a failli m’arriver pour Quand vient la nuit. Avec une affiche qui ne donnait que très moyennement envie,
j’allais continuais ma route au milieu du trafic toulousain quand mon regard s’est arrêté sur l’inscription » par le réalisateur de Bullhead « . À ce moment précis, je me suis dit qu’il était peut – être temps de réviser mes théories fumeuses.
Bob travaille dans le bar de son cousin depuis qu’il est en âge de gagner sa vie. Taciturne, tout juste causant avec ceux qui viennent user son zinc, il mène une vie monacale, routinière.
Un soir qu’il rentre chez lui, il entend des jappements étouffés. Ce sont ceux d’un chiot qu’on a balancé au fond d’une poubelle après l’avoir roué de coups. La scène attire l’attention de Diana, qui va le convaincre d’adopter l’animal.
Quelques jours plus tard, peu après la fermeture, les cousins se font braquer la caisse. Les 2 s’en tireraient à bon compte si le bar » Cousin Marv » n’était pas un lieu de dépôt d’argent pour toutes sortes de circuits parallèles (détenus par Aronov Jr, fringuant mafieux tchétchène, qui va sûrement venir demander des comptes). Comme si cela ne suffisait pas, un type étrange vient tourner autour de Bob, prétextant s’intéresser à son nouveau compagnon à 4 pattes.
À la lecture de cette ébauche, j’imagine que vous vous questionnez sur l’utilité de cette histoire de chien battu et d’argent sale.
J’aurais un nom à avancer : Michael R. Roskam.
Ce réalisateur belge a produit il y a un peu plus de 3 ans son premier long – métrage, Bullhead. Ce film très sombre, sur fond de trafic d’hormones, d’élevage bovin et de vengeance traumatique m’avait littéralement cloué à mon fauteuil (si vous ne l’avez pas encore vu, je vous encourage vraiment à le faire).
Pour sa deuxième réalisation, Michael R. Roskam traverse donc l’Atlantique, change (presque) de registre et s’en va adapter une nouvelle de Denis Lahanne (déjà responsable de Mystic River et Shutter island). Dans une bonne répartition des tâches, l’auteur s’est attelé à l’écriture du scénario, le réalisateur s’occupant d’en retranscrire toute la substantifique noirceur.
Sous son allure classique de petit film de gangsters (avec un Brooklyn comme il est rarement montré), Quand vient la nuit s’applique à mettre en scène des parcours abîmés, des personnages loin d’être aussi lisibles qu’ils le paraissent au premier abord.
Ici, douceur, violence et éthique toute personnelle se partagent la scène. On s’attache forcément à ce Bob si froid et détaché qui s’entiche d’une innocente boule de poils (excellent Tom Hardy), on peine des magouilles foireuses de cousin Marv (regretté James Gandolfini), on tremble pour la frêle Diana (Noomi Rapace), on appréhende la folie d’Éric (Matthias Schoenaerts, déjà exceptionnel dans Bullhead).
Si Quand vient la nuit ne propose rien de littéralement nouveau sous le soleil du film noir, il vient en procurer un très bon condensé, en naviguant habilement sur les faux – semblants et le non – dit. L’occasion de faire envisager les colonnes Morris d’un œil plus clément.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio