Reprise au Théâtre du Pavé de « En attendant Godot », chef-d’œuvre de l’absurde de Samuel Beckett mis en scène et interprété par Francis Azéma, avec Denis Rey.
Bien qu’écrite en 1948, « En attendant Godot » est une pièce indémodable. Très respectueux de l’œuvre, le metteur en scène Francis Azéma affirme avoir suivi à la lettre toutes les indications scéniques de Samuel Beckett, sans chercher à faire d’effet de style. Soit. Nous sommes donc dans une forme classique de théâtre, avec même un rideau de scène s’ouvrant sur un décor installé sur le plateau du Théâtre du Pavé. Graphique et un peu désuet, il représente un no man’s land irréel, traversé par un chemin pentu. Dans un coin se dresse un arbre chétif sans feuilles, du moins au commencement de la pièce. Vladimir et Estragon, deux vagabonds sans identité, sans abris, sans but, attendent jour et nuit, saison après saison, l’arrivée hypothétique d’un certain Godot. Ils ont rendez-vous avec lui, il les sortira de leur vacuité, de leur inertie.
À travers l’évocation de cet absent omniprésent tout au long de la pièce, on peut entendre ce porteur d’espoir qui donnerait du sens à leur vie, une résonance métaphysique. Ou pas. Et ne regarder la pièce que comme une pièce de théâtre de l’absurde, telle qu’elle s’inscrivait dans une époque, après la seconde guerre mondiale. Revenons sur le plateau où l’on parle de rien, on s’invente des chamailleries, on propose des conversations qui tournent à vide, il est même question de se pendre à l’arbre, pour tuer le temps, combler l’attente, pour qu’il se passe enfin quelque chose… Et il se passera quelque chose.
Un autre tandem étrange et angoissant, Pozzo tenant en laisse Lucky, provoquera une diversion. Mais, là aussi, tout retombera rapidement dans le néant, dans un éternel recommencement. Comme empêtrée par leur paire de godillots qui blesse leurs pieds, leur avancée dans la vie est empêchée… Affublés de chapeaux melon, Didi et Gogo semblent les répliques de Laurel et Hardy, l’un soutenant celui qui flanche, le protégeant quand il est agressé, le rassurant quand l’espoir faillit. Face à ce duo vulnérable, en déshérence, Pozzo et Lucky apparaissent comme des caricatures de représentants de la classe dominante sur la classe dominée : l’un aux allures de montreur de foire, tyrannique et grande gueule, le second, muet et affamé, grimé en clown triste, amuseur usé jusqu’à la corde.
Mais quelle humanité terrifiante nous donne à voir Samuel Beckett ? Quel miroir nous tend-t-il ? Aucune réponse ne nous sera donnée. Si ce n’est que l’immobilisme, l’impuissance et la solitude des personnages beckettiens semblent refléter la tragédie d’une société contemporaine en mal de spiritualité et de repères, où le bavardage illusoire vient pallier l’inconsistance et le vide existentiels. Le non-sens des dialogues – faits de quiproquo, de lapsus, de répétitions, de contradictions, de coq à l’âne -hurle en silence l’inconsolable mal-être de personnages perdus et englués, en dépression dirait-on aujourd’hui.
Pièce pour comédiens, la réussite d’ »En attendant Godot » tient dans l’interprétation tout en pleins et déliés du quatuor formé par Denis Rey/Francis Azéma et Alain Dumas/Juan Alvarez, et dans leur énergie sans faille à porter le texte dans sa cruauté et sa tendresse, sa cocasserie et son tragique, ses silences et ses accélérations. Ce spectacle – où Francis Azéma le metteur en scène s’est effacé derrière l’auteur, et le comédien derrière son personnage – n’a pas de prétention autre que de faire entendre un texte d’une drôlerie féroce, résolument moderne, jaillissant de fulgurances poétiques désespérées. Et c’est déjà très bien.
Sarah Authesserre
une chronique du mensuel Intramuros
Du mardi 25 au samedi 29 novembre, 20h00, au Théâtre du Pavé, 34, rue Maran, Toulouse.
Tél. 05 62 26 43 66.
–
photos © Otto Ziegler