Critique, écrivain, producteur et cinéaste, Paul Vecchiali est de nouveau l’invité de la Cinémathèque de Toulouse qui projette treize de ses films au cœur d’un cycle dédié aux «francs-tireurs du cinéma français».
«C’est le problème de la marginalité : hors système, les films peuvent exister, voire se rentabiliser, mais leur impact reste fort limité. Ils font l’histoire du cinéma, mais le grand public ne les voit que par hasard, par exemple sur le petit écran», écrit René Prédal(1). Imaginé par la Cinémathèque de Toulouse, le cycle intitulé «Les francs-tireurs du cinéma français» est l’occasion de mettre en lumière ces cinéastes à part qui font leurs films dans leur coin. Ces artistes atypiques cultivant chacun une certaine forme d’originalité sont Jean Vigo, Jean-Daniel Pollet, Luc Moullet et Paul Vecchiali. Ce dernier rencontre cette semaine le public de la Cinémathèque de Toulouse, après y avoir présenté son dernier film en avant-première : « Nuits blanches sur la jetée ». Cette adaptation de la nouvelle de Dostoïevski « les Nuits blanches » – déjà transposée sur grand écran par Luchino Visconti et Robert Bresson – brille par une série de plans fixes illuminés par la langue de Dostoïevski et le visage de deux acteurs en état de grâce : Astrid Adverbe et Pascal Cervo.
Né en 1930, Paul Vecchiali assume un goût prononcé pour le romanesque et une certaine nostalgie pour l’époque d’avant la nouvelle vague – il est l’auteur d’une foisonnante « Encinéclopédie: cinéastes français des années 1930 et leur œuvre ». Une actrice est à l’origine de sa vocation : «À 6 ans, j’ai vu Danièle Darrieux dans « Mayerling » et j’ai dit à ma mère: je ferai du cinéma. Elle a répondu “d’abord les études”. J’ai fait Polytechnique, accompli les six ans que je devais à l’Etat et arrêté net. J’étais à l’armée, le travail du Génie c’est d’ouvrir la route… J’ai une œuvre si hétérogène qu’elle a ouvert des portes. J’ai un style par film, car je pense qu’il n’y a qu’une manière de traiter une histoire. S’il y a quelque chose dont j’ai horreur, c’est le discours magistral.»(2)
Il est d’abord critique aux Cahiers du Cinéma et à la Revue du Cinéma dans les années cinquante, puis réalise quelques courts métrages avant de signer en 1966 « les Ruses du diable », son premier long récemment retrouvé. «En quatre ans, j’avais écrit 52 scénarios ! On a tourné « les Ruses du diable » avec 70 000 francs. Même si Jeunet dit qu’il en a été inspiré pour « Amélie Poulain », le film n’est pas ce que j’aurais souhaité. J’avais fait ça d’instinct, avec mon héritage des années 1930 et le vernis de la Nouvelle Vague, un film entre deux chaises. A partir de là j’ai fondé mon système. La vraie dialectique pour moi, c’est blanc et noir en même temps»(2), assure le cinéaste.
Il réalise en 1974 « Femmes, femmes », un hommage aux actrices qui s’impose comme l’un des sommets de sa filmographie. Jean-Louis Bory écrivait alors : «Drôle, farfelu, coupé de regards-clins d’œil à la caméra, de chansons, plutôt que chantées, fredonnées à la bonne franquette : on pourrait penser à la légèreté mousseuse (on boit beaucoup de champagne) d’une comédie américaine, une réplique en noir et blanc des « Girls » de Cukor. Mais la modestie affichée des moyens (pas de couleurs), l’extraordinaire liberté de ton, la malice du montage alternant le moelleux “vieux genre” du fondu enchaîné et la sécheresse de l’intervention “cut”, ou ponctuant l’action et ses échos dans les cœurs par des photos de Femmes idéalisées, rappellent les meilleurs moments de la Nouvelle Vague. Désinvolture à la Rivette quand il arrive à Rivette d’être désinvolte ; finesse de l’observation et acuité à l’Eustache, quand il arrive à Eustache d’être fin et aigu ; tendresse de Truffaut à ses débuts ; soin du texte à la Rohmer. Avec, en prime, un je ne sais quoi, qui tient à Vecchiali – esprit de finesse ? complicité ? goût de certaines ombres ? Joint au talent des deux interprètes, il fait notre délice.»(3)
Paul Vecchiali se souvient : «J’avais écrit « Femmes, femmes » pour Darrieux et Signoret. Cette dernière devait tomber sur un groupe de clochards, où il y avait Montand, dont elle tombait amoureuse et elle se biturait au vin rouge, alors que sa sœur Darrieux sifflait du champagne! Je n’aurais jamais pu les avoir. Hélène Surgère (photo) et Sonia Saviange les ont heureusement remplacées. Dans ma tête, c’est un même personnage. « Femmes, femmes » fut une matrice pour beaucoup de cinéastes que j’ai produits après, au sein de la compagnie Diagonale. Aujourd’hui, beaucoup de gens se réclament de l’esprit Diagonale, avec ses films, « Simone Barbès », « les Belles Manières », « le Théâtre des matières », « Loin de Manhattan »… Nous avions en commun notre goût de l’anecdote, des personnages, de l’histoire à raconter, et notre aversion et de la cérébralité et du naturalisme.»(2)
En 1979, « Corps à cœur », ou la passion entre un garagiste et une pharmacienne d’une vingtaine d’années son aînée, témoigne de l’intérêt de Vecchiali envers le genre du mélodrame. Pour René Prédal, «son penchant pour le mélodrame et les personnages quotidiens le rapproche évidemment davantage de la tradition d’avant la Nouvelle Vague que du travail d’un Godard ou d’un Rivette. Mais sur une matière empruntée aux années 30-50, l’auteur réalise des films modernes : il déconstruit, systématise, réamorce des processus en en brisant d’autres et, dans l’ensemble, distancie bien davantage qu’il ne joue l’identification propre aux films de cette période.»(1)
Pour « En haut des marches » (photo), il a demandé en 1983 à Danielle Darrieux d’interpréter la veuve d’un pétainiste exécuté à la Libération… «Elle, c’est l’immensité faite femme. L’actrice par excellence. Elle a tout pour elle : l’instinct et le métier. L’intelligence d’embellir un personnage et de rester, en même temps, un instrument entre les mains du réalisateur. C’est un cas unique… Il y a deux piliers dans le cinéma français : Gabin et Darrieux»(4), proclame Paul Vecchiali.
Jérôme Gac
Rétrospective Paul Vecchiali,
jusqu’au 29 novembre ;
Rencontre, vendredi 14 novembre, 18h00.
Cycle «Les francs-tireurs du cinéma français», jusqu’au 3 décembre.
La Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
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(1) « 50 ans de cinéma français » (Nathan, 1996)
(2) Libération (26/01/2002)
(3) « L’Obstacle et la gerbe, chroniques cinématographiques 1973-1974 »
(Mémoire du Livre, 2002)
(4) telerama.fr (08/01/2011)
photos « Corps à cœur » & « En haut des marches » © collections La Cinémathèque de Toulouse
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