Orchestre national du Capitole – Tugan Sokhiev, direction
Concert du 3 décembre 2010
Tugan Sokhiev et l’Orchestre national du Capitole proposaient, pour leur concert d’abonnement du 3 décembre dernier, un programme novateur et particulièrement excitant. Les trois œuvres choisies brossent un tableau d’une prodigieuse diversité des musiques du XXème siècle. Après le concert aux accents d’avant-garde, dirigé par Bruno Mantovani le 13 novembre dernier dans cette même Halle aux Grains, voici qui fait souffler un vent de fraîcheur dans la programmation classique. György Kurtág, Benjamin Britten et Dimitri Chostakovitch témoignent hautement de cette richesse foisonnante de la production musicale du siècle dernier.
Du premier, toujours très actif, le triptyque intitulé Stele ouvre la soirée.Kurtág s’est doté d’un langage très personnel, à la fois techniquement sophistiqué et d’une grande profondeur expressive. Cette commande du Berliner Philharmoniker et de Claudio Abbado datant de 1994 constitue l’une des très rares partitions conçues pour grand orchestre par un compositeur plutôt attiré par les petites formes. Cette passionnante musique d’émotion émerge du silence sur un accord initial de l’Adagio que Brahms n’aurait pas renié. Il est suivi d’une lente progression, inquiétante, angoissante même, qui joue avec les micro-intervalles. Une agitation fébrile de tout l’orchestre ouvre le Lamento qui suit et qui culmine sur un imposant choral de cuivres. L’apaisement est dispensé par l’étrange intervention de six flûtes, sorte d’appel venu d’ailleurs et suivi d’un silence recueilli. Le dernier volet, Molto sostenuto, serre la gorge d’émotion. Un rythme obsédant, comme l’écho intérieur d’un battement de cœur, irrigue tout le mouvement, interrompu un moment par une bouleversante échappée poétique et élégiaque. Le battement s’éteint progressivement comme une vie qui s’échappe. Dirigé avec finesse par Tugan Sokhiev, chaque musicien se sent investi d’un pouvoir évocateur intense et profond.
Les « Quatre Interludes Marins », extraits de l’opéra Peter Grimes, de Benjamin Britten, empruntent d’autres voies musicales, mais tout aussi expressives. De l’aube blafarde évoquée par les cordes du premier volet (Dawn – Lento e tranquilo) au déchaînement de la tempête finale (Storm – Presto con fuoco), les couleurs se déploient avec une richesse étonnante. Tugan Sokhiev obtient de son orchestre une palette de timbres d’une prodigieuse diversité. Ces quatre pièces d’atmosphère s’écoutent comme on admire des marines picturales. Avec en plus une menace qui plane en permanence, de l’aube naissante à l’admirable clair de lune (Moonlight – Andante comodo e rubato). Seuls le rythme, la gaité, les cloches duSunday morning (Allegro spiritoso) échappent un moment à l’angoisse.
Enfin la 1ère symphonie de Chostakovitch, qui complète cet éblouissant tableau, sidère par l’exceptionnelle maturité dont elle témoigne de la part d’un compositeur de dix-neuf ans ! Tugan Sokhiev l’aborde avec une authenticité et une spontanéité qui ne sont que le reflet de sa profonde familiarité avec un tel répertoire. Il respire avec cette musique kaléidoscopique, en souligne les détails sans négliger la grande courbe, pratique un rubato vivant et naturel. Il bénéficie pour cela d’une contribution sans faille de chaque musicien. Dès les toutes premières mesures, comme délivrées sur la pointe des pieds par une trompette narquoise secondée par un basson goguenard, le ton est donné. L’humour, la dérision, le désespoir, le lyrisme affleurent successivement dans ce discours d’une stupéfiante fraîcheur. Comme toujours chez Chostakovitch, l’ambigüité expressive transcende les traditions. Le final, qui pourrait paraître enthousiaste, reste fondamentalement, désespérément tragique. Les solos instrumentaux fleurissent comme des événements d’une grande beauté. Toutes les interventions d’Hugo Blacher à la trompette (elles sont nombreuses et particulièrement délicates) sont à louer pour leur perfection technique autant que musicales. Celles de Malcolm Steward, virtuose violon solo, du cor chaleureux de Jacques Deleplanque, de Sarah Iancu, si sensible au violoncelle, enrichissent l’exécution. Une mention spéciale au bouleversant solo de hautbois de Jean-Michel Picard, sommet d’émotion de toute l’œuvre. Une grande réussite !
A l’issue du concert, Tugan Sokhiev rend hommage à Michel Raynaud, altiste, au moment de la cessation de ses activités au sein de l’orchestre. Tous nos vœux vont à ce valeureux musicien auquel nous souhaitons une retraite paisible et harmonieuse.
Serge Chauzy
Une chronique de : http://www.classictoulouse.com