Un concert d’ouverture d’anthologie de l’ONCT sous la direction de son chef Tugan Sokhiev
Retrouver à l’affiche d’un même concert, L’oiseau de feu et Le Sacre du printemps d’Igor Stravinski, et le Concerto pour piano d’Aram Khatchaturian n’est pas chose fréquente. Avec une telle qualité, encore moins. Et le public l’a bien compris qui a fait un triomphe, au chef d’abord mais bien sûr à tout l’orchestre, tous pupitres confondus, sans oublier au soliste du concerto, le toujours surprenant Boris Berezovsky.
Ce dernier nous a encore une fois “bluffé“ dans l’interprétation de ce concerto pour piano rarement programmé, et pour cause, tellement l’exécution des trois mouvements exigent aussi bien puissance que brillance, virtuosité et délicatesse, rythme et endurance. Mais on ne peut s’empêcher de penser que si la connivence avec le chef est d’abord d’ordre musical, l’esprit slave doit avoir aussi son mot à dire. Quant aux moments où le piano semble couvert par l’orchestre, c’est sûrement au compositeur qu’il faut demander quelque explication !
Revenons à la réussite dans l’interprétation des deux œuvres de Stravinski. Est-ce, à la base, la pratique régulière par le jeune chef du répertoire symphonique russe ? mais aussi et déjà, son investissement dans la direction de nombreux opéras ? sans oublier qu’il est loin de considérer comme mineur la direction, aussi de ballets ? En tous les cas, la fusion du tout permet de propulser au sommet l’exécution de ces deux ballets, ou plutôt de la Suite (1919) tirée de L’Oiseau de feu, et enfin du ballet complet Le Sacre du Printemps.
Dans Firebird, pas d’effets inutiles. L’origine chorégraphique de l’œuvre est, me semble-t-il, constamment présente tandis qu’après quelques tâtonnements, très vite, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse répond avec enthousiasme à la moindre sollicitation du chef, que ce soit à la baguette, au haussement d’épaules,……Le résultat est d’une rare puissance, dramatique et abrupte, le chef réussissant une synthèse assez extraordinaire entre sauvagerie et .. suprême distinction.
Après une Introduction tendue et grave, puis sarcastique (bois) et impressionniste (cordes), la “Danse de l’oiseau“ voltige, soutenue par une rythmique souple et… aérienne ( !). La “Ronde des princesses“ est sensuelle à souhait. La “Danse infernale“ est portée par une force tellurique, et devient un tourbillon frénétique. Barbare et sauvage, cette danse est un morceau presque d’anthologie. La “Berceuse“ qui suit est bien le havre de poésie et de mystère souhaité tandis que le long crescendo du “Finale“ s’enfle à l’infini, triomphant, et débouche sur un monde rayonnant.
Quant au Sacre, pour reprendre une image entendue et, me semble-t-il tout à fait adéquate, la partition a été telle un moteur, désossée, et remontée pièce par pièce ! Quel travail ! Tout au long des plus de trente minutes, l’orchestre restera d’une très grande homogénéité et transparence, avec une richesse de timbres et de couleurs de tous les pupitres. Le souffle est exceptionnel procurant une impulsion parfaite.
Dès l’Introduction, nous percevons que quelque chose d’immense se prépare. Le basson pleure dans le lointain, la nature s’éveille dans la joie. La mélodie est bien mise en évidence. Puis, le rythme se fait sauvage, ferme, violent, mythique. Les sonorités sont lumineuses, malgré une direction volontairement pesante, majestueuse et âpre. La “Danse de la Terre“ est fantastiquement folle, fauve. Le Sacrifice commence dans une atmosphère de repos et d’attente. L’orchestre est profond et grave. Le violon solo est céleste et cosmique. Le “Cercle mystérieux des adolescentes“ est jeune et frais, puis tendu et mystérieux (flûte et alto), et malgré sa fermeté, tout chante à la perfection. Puis la progression, de plus en plus ample et virtuose, trouve sa résolution dans une “Danse sacrale“ implacable et virevoltante, incomparablement organisé, vertigineuse et féroce.
En un mot, un “sacré“ Sacre !
Michel Grialou