Ken Loach l’avait notifié il y a quelques semaines, Jimmy’s Hall serait son dernier long – métrage. On ne peut que s’incliner face à sa décision (tout le monde n’est pas un Manoel de Oliveira dans l’âme), je peux pourtant vous assurer que cet homme va bien nous manquer …
Avec l’annonce de la retraite du réalisateur, c’est la fin d’une certaine vision de cinéma, un cinéma du réel, ancré dans le social et le politique. Avec lui, va disparaître un point de vue humaniste plongeant ses racines au cœur de conflits sociaux, un cinéma ravivant la mémoire des héros oubliés, dénonçant les dysfonctionnements du système, un cinéma de la lutte des classes.
Ken Loach a toujours utilisé une caméra simple, fraternelle, à hauteur d’homme. La sortie de Jimmy’s Hall sera donc l’occasion d’un dernier rendez – vous en salle avec un cinéaste essentiel.
Après un exil d’une dizaine d’années à New – York, l’Irlandais Jimmy Gralton revient chez lui. Si une bonne partie de la population s’en réjouit, il n’en va pas de même pour le Père Sheridan et ses acolytes.
Taxé de communisme, Gralton est considéré comme un fauteur de troubles notoires. Avant son départ, il avait contribué à l’ouverture du Hall, sorte de salle communautaire où chacun pouvait profiter de cours (dessin, littérature, boxe …) ou simplement venir danser.
En cette période de tensions inter – communautaires (pro et anti – couronne britannique s’affrontent), le clergé tente de raffermir son emprise. Il ne peut tolérer le retour de l’ancien trublion pourtant soutenu en masse par une jeunesse qui ne veut plus de subir la répression de ses aînés et souhaiterait voir refleurir le temps heureux du Hall.
Pour son ultime long – métrage (diable que la formule n’est pas joyeuse …), Ken Loach nous laisse avec un un film qui lui l’est bien plus. J’ai entendu de – ci de – là que Jimmy’s Hall ne constituait pas un témoignage majeur dans la carrière du cinéaste …
Ce genre de formulation me paraît terriblement stupide et injuste. Si tous les films à l’affiche pouvaient être d’aussi bonne facture qu’un » Ken Loach mineur « , je suis certaine que l’industrie du cinéma s’en porterait mieux.
De mon côté, j’aime à penser que le réalisateur a souhaité conclure sa carrière sur une note optimiste, résumant fort bien le chemin emprunté depuis ses débuts : le combat en tout circonstance mais de façon constructive.
Jimmy’s Hall soulève un pan de l’histoire irlandaise, témoignant d’une époque où l’Église exerçait un pouvoir considérable sur le peuple. Pourtant, une poignée d’hommes et de femmes n’hésitèrent pas à s’élever contre elle, faisant évoluer les mentalités parfois au péril de leur intégrité*, souvent au préjudice de leur vie personnelle.
Malgré tout (et cela a toujours été une des grandes forces de Ken Loach), le ton employé n’est jamais larmoyant, la vision se veut clairvoyante sur les faits tout en conservant une foi inébranlable en l’espèce humaine (un pari loin d’être toujours évident).
Le film est emmené par des acteurs du cru (dans un souci de véracité, le réalisateur tenait à recruter des comédiens locaux) assez méconnus chez nous, exception faite d’Andrew Scott (l’exceptionnel Moriarty de la série Sherlock). Pour interpréter Jimmy Gralton, le réalisateur a fait appel à Barry Ward, acteur au potentiel prometteur, dont c’est le premier grand rôle à l’écran.
Sans qu’il soit besoin de m’étendre davantage, vous aurez saisi que je vous conseille chaudement Jimmy’s Hall. Tout comme je ne peux que vous recommander de plonger sans hésitation dans la filmographie de Ken Loach.
Je n’aurais pas grand – chose à ajouter de plus. À part, évidemment, merci Mr Loach. Pour tout.
Pierrette Tchernio
* : Jimmy Gralton fut le seul ressortissant irlandais à avoir été expulsé de son propre pays sans aucune forme de procès. Il mourut à New York en 1945 sans jamais revoir sa patrie ni mesurer l’avancée que son combat avait permis.