Le paradoxe du miracle
Pour son troisième long métrage, la réalisatrice autrichienne affronte l’un des monuments de la religion catholique : Lourdes. Elle l’aborde au travers de ce qui en a fait un lieu incontournable de pèlerinage mondial : les miracles. Et malgré tout, Jessica Hausner martèle que son film n’est pas spécifiquement chrétien. Soit. Difficile malgré tout de croire qu’à partir d’un tel matériau le discours va être totalement déconnecté de son contexte, soit dans un sens hagiographique, soit dans un sens critique.
Christine (magnifique Sylvie Testud) est atteinte d’une sclérose en plaque. Paralysée des membres depuis longtemps, elle fait des pèlerinages. La voici cette fois à Lourdes. Est-elle croyante ? Rien dans le film ne permet de l’affirmer. Elle suit simplement et presque de manière absente le rituel, particulièrement troublant, de l’évènement dans l’espoir d’être cette élue vers laquelle le Seigneur tournera les yeux. Kuno, un accompagnant, ne lui est pas indifférent. Et c’est réciproque. Mme Harti, une pèlerine toujours accompagnée d’une statuette de la Vierge Marie, la prend sous sa protection. Ils sont des centaines comme Christine, sous la houlette bienveillante mais ferme de l’Ordre de Malte dont le personnel encadre les pèlerins, invalides ou pas. Cela nous vaut une galerie de portraits finement ciselés, hésitants entre le volontarisme expressionniste et religieux d’un Dreyer (Ordet- 1954) et l’humour subtil et toujours généreux d’un Tati. Bien sûr, il y aura miracle et c’est d’ailleurs à partir de celui-ci que le questionnement débute. Nous avons droit à la visite au Bureau médical des Sanctuaires. Miracle ou rémission momentanée ? Nous n’en saurons rien. Peu importe d’ailleurs car l’intérêt est ailleurs, dans le regard acéré et sans complaisance de la réalisatrice sur ces silhouettes remplies de vraie ou fausse compassion, dans leur crédulité, leur dévotion avérée ou non, dans le discours du prêtre trouvant en dernier ressort des réponses à tout. Et puis il y a les somptueux cadrages de ce film, fruit certainement d’un travail de story-board minutieusement préparé. C’est un régal de tous les instants. Sans oublier le plan séquence liminaire dans le réfectoire, sur l’Ave Maria de Schubert, totalement saisissant. Il y aurait ainsi bien d’autres exemples à citer. Tout cela pour dire que cette œuvre est plus forte qu’elle n’y paraît. Semblant sanglée dans le corset d’une sérénité bienheureuse, elle pose finalement et avec une désarmante naïveté des questions fondamentales sur la Foi, le handicap, l’arbitraire du miracle, effleurant au passage le business des nouveaux marchands du Temple.
Pathétique et formidablement émouvant, un film à voir.
Robert Pénavayre