Directeur artistique du Théâtre du Pavé à Toulouse, Francis Azéma met en scène « En attendant Godot » de Samuel Beckett, à l’occasion des 20 ans de sa compagnie Les Vagabonds. Entretien.
Avec la compagnie Les Vagabonds qui fête ses vingt ans, vous avez toujours eu à cœur de faire du théâtre populaire. Qu’est-ce que cela induit ?
Francis Azéma (photo): «Je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’offrir au plus grand nombre les plus grands textes. Je citerais volontiers Antoine Vitez qui prônait «le théâtre élitaire pour tous». Aujourd’hui, j’ai toujours envie de monter des grands auteurs même si ça paraît banal et classique. Je suis avant tout un amoureux des beaux textes. On croit bien souvent connaître ces auteurs comme Beckett ou Camus, mais on les a très peu vus, ou bien il y a longtemps. Ceci dit, sans vouloir fanfaronner, c’est au Pavé que l’on a découvert à Toulouse Jean-Luc Lagarce et Jon Fosse…»
Pourquoi monter aujourd’hui « En attendant Godot » ? Souhaitiez-vous rendre hommage aux «vagabonds» à travers les personnages de Vladimir et Estragon ?
«Oui, c’est juste ! Après 25 ans de métier, on se dit qu’on est peut-être enfin prêt à s’attaquer à cette œuvre. C’est une pièce difficile. Mais je crois qu’il faut se laisser faire par elle et ne pas s’en servir pour faire quelque chose de «mode» où la forme primerait sur le fond. Je peux me tromper, mais il me semble qu’il y a peut-être vingt ans qu’ »En attendant Godot » n’a pas été vue à Toulouse.»
En quoi cette pièce est-elle difficile ?
«C’est une pièce à tiroirs, à ressorts… On est souvent perdu ! Parfois, on a l’impression d’être au bord de la découverte et puis, la réplique d’après, on est à nouveau déstabilisé. Il est préférable de se laisser porter par le texte, d’accepter de se perdre et de ne pas faire son intéressant. Pour moi, le théâtre n’est pas là pour créer des effets. Utiliser une pièce pour jouer au metteur en scène malin ne m’intéresse pas. Mon originalité, je la revendique, c’est de ne pas être original.»
Quels sont les partis pris de mise en scène ?
«On est parti sur l’idée d’un décor de terre brûlée avec un arbre noir, des arbrisseaux, quelques souches. Une scénographie qui laisserait à penser qu’il y a eu un «avant», et qu’il y aura sans doute un «après». Ici, on est dans l’entre-deux, dans cet état de vie, d’attente, d’espoir que nos rêves qui ne se sont pas réalisés se réaliseront peut-être un jour. Pour échapper au contexte réaliste des sans-abris, les personnages portent des chapeaux melons. On est davantage dans l’univers poétique, surréaliste de Buster Keaton, Charlie Chaplin, Laurel et Hardy.»
Comment se sont élaborés les duos d’acteurs ?
«Avec Denis Rey, c’est une vieille histoire de complicité. Il était évident qu’il composerait avec moi le duo Vladimir / Estragon. Juan Alvarez est un de mes anciens élèves. Il est un comédien étrange, très touchant, parfait pour le personnage énigmatique de Lucky. Quant à Alain Dumas qui interprète Pozzo, je le connais de longue date. Il y a beaucoup de fantaisie dans son jeu. Le quatuor fonctionne à merveille. Il n’en faut pas beaucoup pour faire du théâtre, juste être surpris par une réplique qui nous fait rire, puis l’instant d’après nous émeut aux larmes.»
Propos recueillis par Sarah Authesserre
pour le mensuel Intramuros
« En attendant Godot », du 10 au 26 avril, au Théâtre du Pavé, 34, rue Maran, Toulouse.
Tél. 05 62 26 43 66.
–
F. Azéma © Patrick Moll
.