Quand je viens par ici vous causer d’un film, l’écriture de sa chronique en est un véritable challenge. Pas que j’ambitionne spécialement à recevoir le prix Pullitzer de la meilleure chronique cinéma (bien que la catégorie fasse cruellement défaut, si vous voulez mon avis) ni que je me prenne pour l’héritière sauvage de Françoise Sagan, mais tout simplement parce que j’ai peur de mal me faire comprendre.
Enfin non, ce n’est pas tout à fait ça (on peut dire que ça commence bien …). En fait, j’ai toujours la crainte d’être à côté de la plaque, de ne pas trouver les mots justes, ceux qui vous inciteront à foncer (ou pas) dans une salle obscure. Trouver les mots justes, c’est difficile, il arrive de rester longtemps devant l’écran sans pouvoir en aligner deux correctement (alors que là, derrière le frontal, ça se bouscule au portillon).
Il y a des moments où cette appréhension vire à l’obsession tant ce que j’ai vu m’a plu, tant j’aimerais vous transmettre mon enthousiasme, tant je ne voudrais pas que vous passiez à côté d’un putain de bon film. Un peu, vous l’aurez sans doute pressenti, comme c’est le cas aujourd’hui.
Theodore Twombly est inconsolable depuis sa séparation avec sa femme (il n’arrive pas totalement à l’accepter d’ailleurs, les papiers du divorce attendent encore sa signature). Dans l’entreprise où il écrit des lettres pour les autres, dans cette immense ville à la foule anonyme, dans son grand appartement à peine meublé où traînent encore des cartons, Théodore est seul. Très seul.
Alors, dans ce futur proche où la technique permet tant des choses, il va installer sur son ordinateur un programme intuitif et évolutif, capable de l’accompagner partout. C’est de cette façon que Samantha entre dans sa vie. Reliés en permanence grâce à une oreillette, Théodore et Samantha vont apprendre l’un de l’autre et vivre une histoire d’amour qui n’a plus de dimension physique.
On savait que Spike Jonze était un réalisateur inclassable, atypique (Dans la peau de John Malkovich et Adaptation sont là pour en témoigner), mais Her dépasse encore la singularité de ses réalisations précédentes.
Spike Jonze, c’est l’homme qui prenait le temps de réaliser (car malgré une flopée de courts – métrages, clips et autres projets à son actif, Her est seulement son quatrième film). Spike Jonze, c’est aussi l’imagination fertile, biscornue, hétéroclite, une imagination où viennent se mêler deux incompatibles : la technologie et les sentiments.
Parce qu’il y a une dizaine d’années, il tombait sur un article évoquant un programme d’intelligence artificielle (qui lui donna l’occasion de converser avec la voix synthétique d’une messagerie instantanée et d’en appréhender toutes les limites), Spike Jonze conçut l’histoire de Her, interrogations sur la solitude moderne, le rapport de l’homme à la machine, le fantasme de l’amour, la quête pour éventuellement (re)trouver celui – ci, la peur de l’engagement, les difficultés à communiquer et à se livrer, sans restriction, à un autre.
Mais un type qui vit une histoire avec un logiciel, ce n’est pas un peu délicat à traiter ? Ça ne paraît pas un chouilla désincarné ?
Et bien non, absolument pas. Je vous dirais même que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas été autant captivé ni touché par une histoire d’amour. Les évènements découlent d’eux – mêmes, paraissent évidents et absolument pas bizarres. Fortiche.
Peut – être parce que Spike Jonze sait installer une atmosphère.
Si l’on est bien dans un futur où la technologie a fait d’immenses progrès, elle n’a rien de froid ou d’inhumain, elle intervient par touches, laissant un décor presque vierge de sa trace, quasi identique à celui que nous connaissons aujourd’hui. L’ambiance y est même rétro (il n’y a qu’à jeter un oeil sur les pantalons de Théodore, l’absence totale de voitures dans les rues). La photo, toute en couleurs chaudes (le directeur de la photographie avait pour consigne de bannir toute teinte bleu) accentue encore cette impression.
Certainement aussi parce que Samantha n’a pas d’apparence physique, laissant libre cours à l’imagination de Théodore (et à la nôtre), ainsi que la possibilité de se focaliser totalement sur les mots, les échanges.
Sûrement encore parce que dans le film, il y a plein de moments de grâce (la première conversation entre Samantha et Théodore, mais aussi toutes celles qui suivront, leur première nuit, la chanson qu’ils écrivent …) (ce moment dans le film est magnifique, tout simplement), beaucoup d’humour et de poésie.
Et puis il y a ces excellentes comédiennes : Rooney Mara, Amy Adams, Olivia Wilde … Sans oublier le timbre un peu rocailleux de Scarlett Johanson, incarnant la voix de Samantha. Elle y est parfaite, vivante. Entre elle et Joaquin Phenix, l’alchimie est idéale. Lui occupe l’écran, seul la majorité du temps, merveilleux de délicatesse, extraordinairement touchant.
Spike Jonze est un mec formidable, capable de grands écarts improbables (qui d’autre serait capable de naviguer d’une réalisation de Jackass à celle de Max et les Maxi Monstres ?), possédant un univers riche, où chimère et réalité ne sont plus ennemies.
Je n’aurais qu’une chose à ajouter, ne ratez pas Her.
En vous remerciant.