Cinéphile, amateur d’art et d’opéra, Pierre Cadars a dirigé pendant dix ans la Cinémathèque de Toulouse dont il fut l’un des fondateurs autour de Raymond Borde. Itinéraire d’un inclassable.
L’appartement toulousain de Pierre Cadars est un musée miniature dont chaque mur est porteur de tableaux ou d’affiches de spectacles, et chaque meuble orné d’objets d’art. Dans le long couloir, on suit une interminable collection de 33 tours d’opéra, le dressing déborde de livres, de programmes du Théâtre du Capitole, d’exemplaires de la revue L’Avant-Scène. Guère besoin d’être attentif pour noter l’omniprésence du chat. Représentée sur des tableaux, la bête prend de-ci de-là toutes sortes de formes, en porcelaine ou en bois. D’un tiroir, le maître de maison exhibe une collection de cartes représentant l’animal dans² les poses et atours de grands personnages d’opéra ! Sur une étagère de CD, un coffret lyrique se présente fièrement au regard : « Le Chat Botté » de Montsalvatge… «J’aime bien être inclassable, il n’y a rien de pire que d’être enfermé dans une case. Ce n’est pas rien s’il y a des chats partout chez moi», confesse Pierre Cadars.
On le savait à la fois cinéphile et fin connaisseur d’opéra, on le croisait parfois au théâtre – il est membre du conseil d’administration du Théâtre Garonne -, on le découvre amateur d’art. «On ressent mieux la finalité de l’opéra si on a une formation plastique, et on ressent mieux un tableau si on a une oreille musicale. Un art doit ouvrir sur d’autres arts. Je me sens mal à l’aise aussi bien avec des mordus d’opéra qui ne connaissent que ça, qu’avec les mordus de cinéma qui ne s’intéressent pas à autre chose», prévient-il. L’été dernier, il a prêté des tableaux et participé à l’élaboration d’une exposition, organisée au château de Laréole, dédiée à Raoul Bergougnan, «un peintre toulousain pour lequel j’ai beaucoup d’admiration», avoue-t-il. Il prépare déjà une nouvelle exposition intitulée « Un siècle d’art en Haute-Garonne, 1880 – 1980 », prévue en 2014 à Laréole. «Tout en faisant des études d’histoire, je suivais des cours d’histoire de l’art. Ma maîtrise portait sur les débuts du peintre Gustave Moreau. Comme Raymond Borde et sa femme, je m’intéressais à l’art 1900 et à l’art naïf. Dès les années soixante, on se retrouvait le dimanche matin aux puces à Saint-Sernin, à la recherche d’objets et de livres qui pourraient produire un déclic esthétique. J’ai gardé en moi cette curiosité artistique.»
Autre grand amateur de chats, Raymond Borde est le fondateur de la Cinémathèque de Toulouse. Dès 1958, sont organisées des projections régulières dans un local du Centre régional de documentation pédagogique (CRDP), rue Roquelaine. Au début, les copies proviennent de la Cinémathèque française à Paris, ou ont été retrouvées par l’équipe de Borde. Pierre Cadars se souvient de ses premiers pas de cinéphile : «Mes parents habitaient dans le quartier Saint-Agne. Le dimanche après-midi, j’allais au cinéma paroissial Le Maran – devenu aujourd’hui le Théâtre du Pavé. Au lycée Bellevue, je fréquentais le Ciné-club de la Jeunesse animé par Roger Clerc, mon professeur de physique. J’ai découvert par ce biais la cinéphilie, c’est-à-dire approcher le cinéma pas seulement comme une distraction. À l’époque où je suis passé à la vitesse supérieure, il y avait beaucoup de cinéma à Toulouse. J’avais 14 ans en 1958, c’est le début de la Nouvelle Vague. Ma génération a découvert le cinéma comme une ouverture, un espace de liberté. C’était le lieu du politique : nous découvrions au cinéma ce que nous n’apprenions pas au lycée. Le Ciné-club de la Jeunesse partageait avec la Cinémathèque le local de projection de la rue Roquelaine, d’où le glissement. Je fréquente les séances de la Cinémathèque dès la fin des années cinquante. Je vais aussi au Ciné-club de Toulouse dont les séances avaient lieu à l’ABC. Je suis pris dans l’engrenage, dans le travail qui se met en place autour des bénévoles de la Cinémathèque. Ils se retrouvent au café d’en face, Le Normandie. C’était un groupe à géométrie variable, sans hiérarchie ni réunion régulière, mais Borde était celui qui pouvait déclencher les choses. La naissance de la Cinémathèque tient à sa personnalité. Il était fonctionnaire au ministère des finances. Passionné de cinéma, il faisait de la critique pour la revue de Sartre « Les Temps Modernes » et pour « Positif ». C’était aussi un manuel qui savait monter des rayonnages avec des planches. Il n’hésitait pas à partir avec sa 2CV le dimanche pour rencontrer des forains et retrouver des copies de films. Sans cela, la Cinémathèque n’aurait pas existé. Sans moyens, il ne fallait pas avoir peur de se salir les mains.»
En 1964, l’association qui gère la Cinémathèque de Toulouse est créée. Détaché de l’Éducation nationale, Pierre Cadars en devient le premier directeur au début des années quatre-vingt. Raymond Borde en est le président. Mais se révèle douloureux le passage d’une équipe bénévole de passionnés à une structure tenue de rendre des comptes aux tutelles. Pierre Cadars jette l’éponge au bout de deux ans. Il rejoint le rectorat où il occupe les fonctions de directeur de cabinet du recteur. Chroniqueur cinéma sur l’antenne de Sud Radio, il débute à cette époque une collaboration avec Opéra Magazine – après un passage au Quotidien de Paris de Philippe Tesson. «J’étais allé quelques fois au Capitole dans les années soixante, et ça m’avait plu. Ayant à effectuer mon service militaire, j’ai demandé à être coopérant dans un lycée à l’étranger, et je me suis retrouvé à Milan ! Je suis donc beaucoup allé à la Scala entre 1969 et 1971, à une époque où venait d’arriver une nouvelle génération de chanteurs : Placido Domingo, Luciano Pavarotti, Mirella Freni…».
Son plus beau souvenir reste la fameuse représentation de « Norma » avec Montserrat Caballé à Orange, en 1974. «Je suis beaucoup allé l’entendre à Barcelone où elle chantait souvent avec Placido Domingo. Mais je ne fais pas partie de ceux qui sont admirateurs de divas : c’est une vision restrictive de l’opéra. Je n’ai pas d’idole. Je suis très sensible au timbre de la voix. J’aime les voix qui ont un timbre chaleureux, du soleil, ces voix de baryton qui sont porteuses de chair et de sensualité». Ces dernières années, il a ressenti «un choc» au Capitole face à Natalie Dessay dans « Hamlet », d’Ambroise Thomas. Mais aussi, toujours à Toulouse, pour la « Médée » d’Anna Caterina Antonacci : «une interprète qui a une présence, un tempérament, quelque chose de très fort. J’aime ces émotions que l’on ressent à l’opéra par le biais d’artifices ou de conventions, on touche des vérités humaines que l’on ne perçoit pas dans la réalité. Cela tient au mariage de la voix et du jeu d’acteur, à l’alliance de la musique et de la mise en scène.»
En 1997, Daniel Toscan du Plantier est le nouveau président de la Cinémathèque de Toulouse. Il demande à Pierre Cadars de revenir à la direction de l’établissement fraîchement installé dans les locaux de la rue du Taur. Parmi les premiers cycles qu’il soumet au public, on se souvient de thèmes abordant les chats ou le piano au cinéma. Il décide de prendre sa retraite en 2005, mais le cinéma ne l’a pas quitté. On peut ainsi l’entendre chaque semaine partager ses coups de cœur avec quelques comparses au micro d’une radio associative toulousaine ! (1)
Jérôme Gac
une chronique du mensuel Intramuros
PARCOURS
13 janvier 1944 : Naissance à Rodez
1970 – 1981 : Enseigne l’histoire et la géographie au collège Lamartine à Toulouse.
1972 : Publie « Le Cinéma nazi », co-écrit avec Francis Courtade (éd. Éric Losfeld).
1981 – 1983 : Directeur de La Cinémathèque de Toulouse.
1982 : Publie « Les Séducteurs du cinéma français » (éd. Veyrier).
1984 : Publie « Gérard Philipe » (éd. Veyrier).
1997 – 2005 : Délégué général de La Cinémathèque de Toulouse.
(1) « Pour 35 mm de plus », jeudi à 19h00, sur Radio Radio (106.8)
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photos :
– conservation © Cinémathèque de Toulouse
– Raymond Borde (à gauche) et Pierre Cadars