Tout commence par une scène filmée à l’aide d’un téléphone portable. Le grain est grossier, l’image mouvante, mais on voit nettement 4 jeunes noirs assis, adossés à un mur, tenus en respect par 2 policiers. Le ton monte, l’un des jeunes est empoigné par un flic qui le plaque au sol, lui écrasant la tête. L’écran s’obscurcit. Un coup de feu retentit. On entend des cris.
La scène à laquelle on vient d’assister n’a rien d’une fiction, elle représente bel et bien ce qu’un témoin a filmé le soir du dernier jour de l’année 2008, dans une station de métro (celle de Fruitvale à Oakland en Californie). Quand l’écran se ravive, on se retrouve 24 h plus tôt dans la vie d’Oscar Grant, celui au coeur de ce fait divers tragique.
Ryan Coogler a mis beaucoup de lui – même dans son film. D’abord parce ce que c’est son premier, mais aussi parce qu’il a été frappé de plein fouet par cette histoire (lui qui est originaire de cette région des Etats – Unis et avait le même âge qu’Oscar Grant quand les évènements ont eu lieu).
Toutefois, ne croyez pas que Fruitvale station soit simplement une attaque en règle contre la police et représente la victime tel un ange innocent. Ryan Coogler, malgré son jeune âge, est bien plus intelligent et nuancé que cela.
Il dresse un portrait qui se veut le plus juste possible, n’éludant aucune part d’ombre D’Oscar Grant mais n’omettant aucun autre aspect de sa vie non plus.
C’est d’ailleurs la grande volonté de ce long – métrage, montrer combien dans la vie les choses ne sont pas toujours parfaitement blanches ou noires, comment l’individu peut être dualité, comment par un évènement anodin, un destin bascule …
Si le message de Fruitvale station est aussi fort, c’est aussi parce que son réalisateur a su s’entourer de comédiens talentueux, à commencer par Michael B. Jordan, pivot central d’une histoire qu’il porte à bout de bras, tour à tour vibrant de colère brute, d’émotion pure et de douceur tranquille.
Cependant, impossible de nier à Fruitvale Station sa dimension politique.
De par son sujet bien sûr. Son tournage a permis de remettre en lumière le crime raciste d’un policer (condamné à plus de 2 ans de prison, il en est ressorti au bout de onze mois seulement).
Mais aussi parce que le long – métrage de Ryan Coogler est annonciateur d’une nouvelle vague de cinéma qui secoue Hollywood, amorcée depuis quelques mois avec la sortie de films comme Le Majordome (de Lee Daniels) ou 12 twelves of years (de Steve Mac Queen, qui sortira bientôt chez nous, on en reparlera) où des réalisateurs noirs sont aux manettes et à la production (comme c’est le cas de Forest Whitaker pour Fruitvale station) et s’adressent, de façon engagée, à une partie de la population qui avait été mise de côté.
Depuis le Spike Lee des années 90 on n’avait plus vu cela …
Je vous avoue être envieuse de ce genre de mouvement, de cette expression dans le cinéma, je me désespère parfois que nous ayons un jour la même chez nous. Pourtant, nous aurions des sujets similaires à traiter, des communautés à secouer tandis que d’autres ne demandent qu’à s’exprimer.
Mais ce que nous n’arrivons pas à faire (pour le moment !), des réalisateurs étrangers s’en chargent pour nous. Si celui de Fruitvale station est bien américain, le message de son film n’en reste pas moins universel.
En vous remerciant.