Concert du jeudi 28 avril 2011 – Programme
SCHUMANN Genoveva, ouverture
MENDELSSOHN Concerto pour violon n° 2 en mi mineur, op.64
SIBELIUS Symphonie n°1 en mi mineur, op. 39
La tension sous la glace apparente
Sous l’énergique direction du jeune chef danois de 42 ans, Thomas Søndergård,
le concert de l’ONCT de ce jeudi semblait une déclaration de guerre à la mièvrerie et la mollesse si habituellement rencontrées dans ce répertoire. Là où souvent l’affadissement sert de ligne directrice au lumineux concerto pour violon de Mendelssohn, là où l’ombre importune de Tchaïkovski est souvent la seule référence pour cette première symphonie de Sibelius, qui parle déjà une autre langue, le chef danois propose pour ces deux œuvres, une lecture acérée, précise et parfois dramatique de ces œuvres qui retrouvent alors tout leur éclat, débarrassées de la fausse patine de la tradition.
Le concert commençait par l’ouverture Genoveva de Schumann tirée de son unique opéra sur Geneviève de Brabant, qui fut un échec retentissant malgré bien des beautés. Cette ouverture contient déjà toute l’orchestration de Schumann, avec ses frémissements et l’ombre des forêts germaniques qu’elle porte en elle. Ce romantisme allemand est tout entier contenu dans les dix minutes du condensé qu’est cette ouverture. Les couleurs sombres, les élans, les ombres aussi –son ami Mendelssohn venait juste de mourir en novembre 1847 alors que Schumann était au cœur de sa composition – sont justement rendus par l’interprétation enflammée du chef. Cela pourrait donner l’idée au directeur de l’opéra, toujours novateur, de monter l’opéra en entier.
Le Concerto pour violon op.64 de Mendelssohn est comme souvent chez Mendelssohn, lui qui savait danser avec les elfes, une œuvre lyrique, lumineuse, tendre, mais surtout pas molle et alanguie. Ce rêve éveillé n’a pas besoin de sucre ajouté à la fragilité de cette musique.
Alina Ibragimova, vibrante violoniste russe de 26 ans, aussi prodigieuse technicienne au violon baroque qu’au violon moderne, avait une conception personnelle, à la fois énergique et poétique de ce cheval de bataille des violonistes. Le chef danois était en totale osmose avec elle, et avec des mouvements plus vifs que d’habitude, l’interprétation est fraîche, parfois dramatique, mais c’est toujours une belle fontaine de claire musique qui coule. Malgré l’incident de santé d’un membre de l’orchestre conduisant à une interruption de l’exécution, l’œuvre fut menée de bout en bout dans la même clarté poétique. En bis Alina Ibragimova joua un extrait d’une partita pour violon de Bach. La beauté sonore et la compréhension profonde de cette musique laissèrent musiciens et public le souffle coupé d’admiration. Alina Ibragimova est déjà une très grande, elle grandira encore.
La première symphonie opus 39 de Sibelius, est en fait sa deuxième car Kullervo de 1891-1892 est déjà sa première pierre magnifique d’ailleurs.
Ici les mythes finlandais du Kalevala ne sont pas explicitement évoqués. Mais dans les déflagrations de violences soudaines, dans ce temps en attente, on pourrait entrevoir le rude univers de ces contes. Romantique sans doute avec ses bouffées d’émotions, ses climats sans cesse mouvants, nationaliste certainement pas, cette symphonie pose déjà les jalons de l’art symphonique de Jean Sibelius qui ira s’épurant jusqu’au silence. Déjà les longues mélodies chantantes se font rares, et la composition s’opère par paquets d’émotions, par blocs proliférant. Ainsi le thème introductif et inquiétant de la clarinette va se retrouver souvent décliné. Le thème qui suit comme vague émotive, va se mirer dans bien des instruments. Le premier mouvement surgit du presque imperceptiblement avant de devenir héroïque et dramatique avec une large place, comme d’habitude chez Sibelius, aux timbales. Les larges montés de trompettes et de cors semblent relayer des temps mythiques. Le second mouvement semble méditation au soleil couchant. Le troisième est un scherzo, quasi-danse populaire, mais fort inquiétant en fait. Le dernier mouvement avec ses montées, ses tensions, ses décharges brusques de passion, clôture vers le silence, se rebouclant ainsi avec le premier mouvement.
Tout ce puzzle est très difficile à rendre en concert.
Frémissante, mystérieuse aussi, emportée souvent, cette symphonie si peu jouée – comme hélas les autres symphonies 3,4,6,7 – a trouvé par l’art du chef Thomas Søndergård une interprétation qui n’est pas prêt à être égalée. Le « côté dur », les structures complexes, les épanchements romantiques, la fusion panthéiste avec les bruits de la nature, les luttes mystérieuses qui semblent s’y dérouler, tout cela est rendu avec force, émotion et justesse. Ce chef danois est un très grand chef sibélien. Les couleurs habituelles de l’orchestre avaient été changées pour rendre ce mélange de gris et de cris parfois, qu’est l’orchestration de Sibelius. Sous la dureté apparente de certains passages, le chef a su insuffler une véritable tension sous la glace des sons. L’orchestre, sous la conduite de Geneviève Laurenceau, fut glorieux dans tous ses pupitres, chantant ou criant d’une seule voix dans les montées de violence.
Ce concert est à marquer d’une pierre blanche, ou plutôt d’une rune magique.
Gil Pressnitzer