Bertrand Blier est l’invité de la Cinémathèque de Toulouse à l’occasion d’une rétrospective de ses films.
«C’est très bien d’écrire des dialogues et d’avoir de très grands acteurs pour les jouer, mais cela oblige à une mise en scène où il suffit de filmer les acteurs, et pas autre chose. Je suis donc totalement coincé en tant que metteur en scène. […] Je suis surtout un auteur qui filme ses histoires», assurait Bertrand Blier en 1986, lors de la sortie de « Tenue de soirée »(1). En 1974, il connait un premier succès avec son deuxième film de fiction, l’adaptation à l’écran de son roman « les Valseuses ». «J’étais alors en état de crise célinienne contre le climat de la France, et teigneux. Le cinéma français était trop sage. J’ai eu envie d’y semer la pagaille. Cela ne m’a plus quitté. J’aime bien envoyer des grenades, faire tout exploser, jouer à l’irresponsable»(2), racontait-il vingt ans après. C’est la révélation de trois acteurs : Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou. C’est aussi le début d’une fructueuse collaboration avec Depardieu : «Nos carrières sont nées ensemble, on a été portés en pleine lumière ensemble»(1).
Quatre ans plus tard, pour « Préparez vos mouchoirs » – qui reçoit l’Oscar du meilleur film étranger -, Blier réunit de nouveau Depardieu et Dewaere, avec cette fois Carole Laure. Il retrouve le premier l’année suivante dans « Buffet froid ». Dans « Tenue de soirée », Depardieu s’incruste dans le couple formé par Michel Blanc et Miou-Miou, puis s’embourgeoise en 1989 dans « Trop belle pour toi », entre Carole Bouquet et Josyane Balasko. Il apparaîtra ensuite dans « Merci la vie » et « les Acteurs », avant de reprendre le haut de l’affiche en 2005, entre Monica Bellucci et Bernard Campan, dans le rôle du souteneur de « Combien tu m’aimes? ». Le cinéma de Bertrand Blier est un cinéma d’acteurs : «Lorsque j’ai fait « les Valseuses », j’avais des acteurs que personne ne connaissaient, qui étaient des stars en puissance mais je ne le savais pas. À partir du moment où j’écris des scènes aussi démentes, j’ai besoin d’avoir de très grands acteurs, sinon ça ne passe pas. Exemple : l’ouverture de « Buffet froid ». Sans Serrault, le film n’est pas tournable. Si vous enlevez Depardieu dans « Tenue de soirée », il n’y a plus rien», poursuivait-il dans les Cahiers du cinéma.
Fils de l’acteur Bernard Blier, Bertrand cultive l’art de soigner les dialogues avec une causticité redoutable. «J’étais très conscient de ça : une facilité à faire des mots. Bon, c’est amusant pendant un certain temps. Le point culminant, c’était « Tenue de soirée », où le dialogue est vraiment flamboyant. J’adore ça. C’est marrant mais, après ce film, je me suis dit qu’il fallait que j’arrête, parce que j’étais à un maximum. Donc « Trop belle pour toi » a un dialogue très plat. Ce qui m’a gêné d’ailleurs. C’est un film chic, qui rassurait tout le monde tandis que je m’amusais avec une forme assez compliquée… Et le dialogue était un peu mis aux oubliettes, comme en ce moment. Il est en veilleuse. Je m’intéresse davantage aux dispositifs»(3), confiait-il cette fois au moment de la sortie de « Mon homme ».
«Je ne respecte pas le cinéma. Je ne l’idéalise pas, comme certains de mes confrères. Je me dis que si on rate certains films, ce n’est pas grave : autant lire Proust. J’ai toujours pensé qu’il fallait laisser le cinéma à sa place – le considérer comme un art mineur. Je me sens très proche de Gainsbourg, qui ne se prenait pas pour Ravel et qui, de temps à autre, disait : « Allez, on va leur composer une petite chansonnette… ». Un peintre, un écrivain ont la liberté totale pour créer. Nous pas ! On est des aventuriers, des joueurs de poker. On fait des braquages – réussis ou ratés – à chaque film… Heureusement, certains sont inoubliables…»(4), affirmait-il plus récemment pour promouvoir son dernier film, « le Bruit des glaçons ».
Blier filme inlassablement des couples troublés par l’arrivée d’un personnage intrusif. Chez lui, comme dans la vie, les histoires d’amour se jouent toujours à trois. Et ce sont les femmes les mieux loties : «Dans mes films, ce sont les hommes qui ont toujours le sale rôle. Je n’ai filmé que des crétins. Des lâches. Aucun n’a la clé du monde féminin : ils ne savent pas comment ça marche. Soit parce qu’ils sont très machos, comme dans « les Valseuses ». Soit parce qu’ils sont trop amoureux, comme dans « Préparez vos mouchoirs » (photo). Même dans « Beau-père », Patrick Dewaere est un loser consternant… De fait, tous les hommes de ma génération ont démarré macho. Moi comme les autres. Mais être macho, aujourd’hui, c’est être demeuré…»(4).
Il est le cinéaste de la France d’en bas, celle qui joue au Loto. Parfois elle gagne, comme dans « Combien tu m’aimes? » où, grâce à la super cagnotte, Bernard Campan veut se payer à vie Monica Bellucci. «J’estime que mes films – moi, peut-être pas, mais eux, oui – sont de gauche. Hormis « Trop belle pour toi », où ils sont embourgeoisés, tous mes héros sont du mauvais côté de la rue : des voyous, des paumés…»(4). Une rétrospective de douze films visibles à la Cinémathèque de Toulouse est enfin l’occasion de s’en assurer.
Jérôme Gac
Rétrospective, du 10 au 26 septembre ;
Rencontre avec Bertrand Blier, jeudi 12 septembre, 19h30.
Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. 05 62 30 30 11.
(1) Cahiers du cinéma n°382
(2) Télérama (23 février 1994)
(3) Première (février 1996)
(4) Télérama (25 août 2010)
« Préparez vos mouchoirs » ©
collections La Cinémathèque de Toulouse
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