Mozart, Extrait de la Messe en ut k.427, Et incarnatus est
Mahler Quatrième symphonie
Orchestre Philharmonique de Radio France
Myung-Whun Chung, direction
Mojca Erdmann, soprano
Cycle Grands Interprètes
J’ai voulu rendre le bleu uniforme du ciel. Parfois cela s’assombrit, devient effrayant et fantastique sans que le ciel ne bouge, mais c’est cela même qui nous fait subitement peur, une terreur panique, nous saisit au milieu du plus beau. Mahler.
La Quatrième, œuvre si mal accueillie à sa naissance, et maintenant si populaire, a toujours été chère et secrètement aimée par Mahler. Quelque temps avant sa mort, en 1911, il en révisait encore l’orchestration, allant vers toujours plus de légèreté et de transparence.
Il la dirigera souvent avec tendresse et sourire, heureux tout simplement.
Œuvre étrange, presque archaïque, hors des avancées titanesques de la seconde et de la troisième, elle est en fait non pas une régression néoclassique, mais une ouverture apaisée vers la vie acceptée.
Lui, l’éternel marginal, l’être hors de son temps, se réconcilie avec le monde, avec l’enfance, avec son enfance. Et son enfance ne fut point un vert paradis, d’ailleurs Mahler eut-il vraiment une enfance ?
Pris comme il l’était dans l’urgence de la pauvreté, la présence quotidienne de l’antisémitisme, avec la mort qui pleuvait sur lui. Ainsi, huit de ses frères sur les quatorze membres de sa famille meurent soit en bas âge, soit de suicide. Entre l’horizon de la taverne de son père et la proximité des casernes, il rêvait plus d’être martyr que d’être un enfant plein de jouets.
Pour lui rapidement le survivant, l’aîné support de famille, avant que d’être, la vie terrestre ne pouvait que s’opposer à la vie céleste.
C’est bien le thème de cette petite symphonie sans amertume apparente, mais qui oppose les innocents dans la lumière avec les souffrants dans les tumultes du monde.
Œuvre de lumière, la Quatrième ? Oui sans doute comme une enfance retrouvée, loin des orties du monde, mais se rappeler qu’en même temps, Mahler écrit sa musique la plus terrifiante, la plus noire, le lied Revelge. Et souvent planent des échos de danse macabre avec un violon satanique et désaccordé. Lumière et ombres des cauchemars d’enfant sont en fait entremêlées.
«Premier mouvement en forme sonate avec un premier et un second thème, Scherzo et deux trios, andante aux variations et finale avec voix».
Cette présentation en forme de boutade de Mahler donne pourtant l’ossature de cette œuvre, mais elle ne décrit pas la magie qui surgit dès le premier grelot quand s’avancent les traîneaux de nos enfances, la neige des souvenirs et le crissement du temps qui passe.
Orchestration diaphane et aérienne pour cette œuvre dont la signification est expliquée ainsi par le compositeur :
«Premier mouvement à l’atmosphère hésitante pour décrire le monde comme éternel, scherzo sorte de danse macabre ironique où la mort est plutôt dérision que néant, adagio qui est en fait un sourire, une paix solennelle et chaleureuse où l’intense douleur s’entrecroise à une gaieté».
Mahler avoua bien plus tard avoir composé ce morceau en pensant au visage de sa mère, à son sourire triste et profond.
Dans le dernier mouvement, l’enfant donne les clés du conte.
Lorsque l’homme, émerveillé, mais dérouté, demande ce que tout cela signifie, l’enfant répond dans le quatrième mouvement : « Telle est la vie céleste ! ». (Mahler)
Cette vie céleste est pleine de plumes de malice et de mysticisme profond.
Tout est tête en bas, pieds en l’air, tout à coup on perçoit l’autre côté de la lune.
Pardonnons aux éminents crétins, Debussy en tête, qui conspuèrent «cette musique de Moulin-Rouge» lors de son exécution à Paris. Cette œuvre, sorte de divertissement apparent, ne révèle sa richesse que si l’on n’oublie pas sa profonde nostalgie, son adieu à un temps d’innocence.
Œuvre viennoise aussi avec sa douce perversité, sa «gaieté irraisonnée et déraisonnable», son immense tendresse, elle reste le jardin secret de la musique de Mahler, celui où l’on revient souvent pousser la porte pour rêver.
Ces quelques notes pour souligner que ce n’est pas une simple musique sur « les verts paradis de la vie enfantine », mais aussi une musique parcourue de fêlures.
On peut pourtant ne se souvenir que des derniers vers du lied conclusif :
Les voix des anges
réconfortent les sens
pour que tout s’éveille à la joie !
Ce fut la voie choisie par Bruno Walter, Myung-Whun Chung, par tempérament, la poursuit aussi.
Avec un très bel Orchestre Philharmonique de Radio France, si heureux de retrouver enfin son chef qui fut si longtemps absent à sa tête, Myung-Whun Chung, souvent les yeux fermés d’ailleurs dans le troisième mouvement, le sommet de son interprétation, parvient à rendre dans cette œuvre qui lui est si chère, tous les plans sonores, même les plus subtils. Il y introduit une religiosité particulière dans cet univers terrien, quitte à se laisser aller vers un côté planant, plutôt qu’à une danse macabre voulue parfois par Mahler. En plus Myung-Whun Chung interprète assez lentement cette partition, lui conférant une poésie plus soutenue. Il l’aime et la connaît par cœur. Et l’enchantement se produit.
La Quatrième Symphonie comporte quatre mouvements :
1. Bedächtig. Nicht eilen. Recht gemächlich.
2. In gemächliger Bewegung. Ohne hast.
3. Ruhevoll (Poco adagio).
4. Sehr behaglich. [Das Himmlische Leben].
Dans le premier mouvement que Mahler décrit ainsi : «Cela débute comme si l’on ne savait pas compter jusqu’à trois, puis se transforme en un grand un, et finit vertigineusement en des millions et plus que des millions», Myung-Whun Chung, est à son aise dans les thèmes à la fois sucrés et enjoués de ce mouvement, et il caresse avec plaisir tous les chants et les contre-chants de l’œuvre, aidé par de grands musiciens à tous les pupitres, spécialement au hautbois. Il fait une symphonie de chambre qui parle comme un conte d’enfant.
Dans le deuxième mouvement, son approche, magnifiquement jouée, ne rend pas assez compte du côté fantastique de ce scherzo et le violoneux n’est en rien inquiétant. « La mort gratte bizarrement son violon et nous mène là-haut vers le ciel», avait écrit Mahler. Ici non, la mort est enjouée.
Dans le troisième mouvement «qu’il rit et pleure tout à la fois» selon Mahler, Myung-Whun Chung déroule un magnifique adagio éthéré, plein de spiritualité, mais pas d’irruption d’inquiétude.
Les montées sonores sont une annonce du paradis céleste, et non un mauvais souvenir des douleurs.
Il restitue une gaîté sérieuse et tendre, presque mystique. Cela est très beau, et Myung-Whun Chung, déroule yeux clos, et sans partition, une sorte d‘extase extatique. Mais une part du monde de tristesse de Mahler est évacuée.
La voix enfantine et diaphane de Mojca Erdmann est en parfaite adéquation avec le lied terminal, naïf et féroce parfois, et qui veut avec malice parler du Royaume du Ciel. Cette très grande soprano chante par ailleurs Lulu d’Alban Berg, ce n’est pas un hasard.
Myung-Whun Chung veut nous persuader qu’« Aucune musique sur terre n’est comparable à la nôtre », comme le dit le texte du Knabenwunderhorn.
Il y parvient, et même si on ne peut pas toujours adhérer à sa vision trop angélique de l’œuvre, on est, même après deux auditions, la première sur France Musique au Festival Saint-Denis, et celle de ce soir, plus accomplie, émerveillé par l’enluminure sonore et tendre qu’il tisse tendrement, maille par maille, note par note.
Et un extrait de la grande messe solennelle en ut de Mozart, Et incarnatus est, donné en première partie avec tendresse et recueillement et mains nues. Myung-Whun Chung montre la filiation qu’a voulu donner Myung-Whun Chung entre les deux œuvres, les enrobant dans la même religiosité.
Cette option est fort bien défendue, même s’il existe d’autres voies voulues par Mahler, pour qui l’enfance est plus complexe, faite de sourires tendres, mais aussi de grincements de dents.
Un «tableau primitif sur fond or» nous été magnifiquement dépeint, où la « paix solennelle et chaleureuse » est bien là, mais « où l’intense douleur qui s’entrecroise à une gaieté» est volontairement doucement estompée.
Myung-Whun Chung, l’un des plus grands interprètes vivants de Messiaen, rêve d’un monde doux et apaisé, fraternel, déjà plein de joies célestes. Il donne alors sa vision poétique et planante de la Quatrième de Mahler, en évacuant toute noirceur. Il réussit superbement cette approche très mystique avec ses « excellents musiciens de cour.» (Lied final).
En complément de programme de ce programme si court, Myung-Whun Chung, pour ne pas rompre l’atmosphère créée, lui qui longtemps après la dernière note de Mahler, est resté les bras levés pour distiller encore du silence, a choisi Le Jardin féerique extrait de Ma Mère l’Oye de Maurice Ravel.
Aussi « tout s’éveille à la joie ! », comme dans un rêve.
Il sera toujours tant de se réveiller.
Gil Pressnitzer
Voir : Quatrième de Mahler
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