Pour la 21° édition du festival de Guitare d’Aucamville (et du Canton Nord)*, ses organisateurs ne se sont pas trompés : outre Titi Robin le 28 mars et Mister Johnny Winter le 6 avril, ils ont invités un trio composé d’une légende américaine qui a marqué le blues depuis les années 80, d’un harmoniciste exceptionnel que Claude Nougaro, Didier Lockwood, Eddy Mitchell, Charles Aznavour entre autres ont voulu absolument avoir sur scène avec eux, et d’un guitariste doué d’une grande finesse incontournable dans le paysage musical français. Amis de longue date, ils se sont retrouvés enfin autour d’un projet commun: Together, Ensemble.
La salle dédiée au brave Georges (Brassens) est pleine à craquer, avec sa bonne acoustique dont JJ Lassus, la crème des sonorisateurs, tire le meilleur parti pour ce trio qui swingue dès la balance. Milteau commence par un solo qui résume la quintessence de l’harmonica blues et la salle réagit au quart de tour. Mais « la vie serait triste sans guitare », comme il dit avec son humour pince-sans-rire, et dès qu’il est rejoint par ses deux complices, c’est le feu dans la salle : j’ai envie de danser, même si mon torticolis m’en empêche ; leur musique me fait chaud au corps et au cœur. C’est cela le Blues ! D’Ode à Billy Joe à In God’s Hands, en passant par Jesus Leads Me, Mystery Train, Mercy-Mercy, Hellfire et People Get Ready, ils nous transportent sur les rives du Mississipi, ce sacré vieux bonhomme de fleuve qui poursuit imperturbablement son chemin, tandis qu’Old man river chante comme si sa vie en dépendait. Ils terminent avec un final rock and roll, expression de l’argot afro-américain qui signifie « faire l’amour ».
Mais avant, chacun des trois compères a pris aussi des solos qui ont soulevé des ovations :
Joe Louis Walker** à la guitare électrique et au chant, souvent comparé à ses cadets Robert Cray et Lucky Peterson, est né voici plus d’une soixantaine d’années à San Francisco. Dans les 60’s, Walker est un proche de Mike Bloomfield (Paul Butterfield Blues Band, Bob Dylan, Electric Flag) ; c’est celui-ci, bluesman blanc aux origines juives, qui l’oriente du ghetto d’Oakland vers le blues. Fin guitariste, brillant chanteur, à l’aise dans tous les domaines (blues, soul, black rock’n roll…), il s’est imposé grâce à ses shows d’exception et ses albums magistraux au sommet de la scène blues. Il a remporté plusieurs W.C Handy Awards comme «meilleur artiste contemporain» ainsi que le «Bay Area Music Award» en tant que «meilleur artiste de blues de l’année»…
Manu Galvin : guitare électro-acoustique, est sollicité depuis plusieurs décennies par des chanteurs français pour les accompagner sur disque ou sur scène : Jane Birkin, Maxime Le Forestier, Renaud… Mais c’est certainement sa rencontre avec JJ Milteau qui est la plus déterminante et la plus prolifique. Depuis lors, ces deux grands noms du blues ne se quitteront plus et se produiront sur tous les continents, que ce soit simplement en duo, en trio ou en plus grande formation. Ce bon géant débonnaire a aussi enregistré un superbe disque intitulé « Chasseur de nuages » (Bonsaï Music distribution Night and Day) où ses chansons ensoleillent des rêves d’enfants, dont les siens.
Jean-Jacques Milteau***, aux harmonicas (il en a une pleine valise), est depuis l’adolescence fasciné par le blues et ses cousinages. Ses inspirations vont de Sonny Terry à Stevie Wonder et ses collaborations de Gil Scott-Heron à Mighty Mo Rodgers, Little Milton, Michael Robinson et Ron Smyth.
Il a parcouru au propre comme au figuré bien des itinéraires géographiques comme musicaux. Son parcours est jalonné de pierres blanches : Fragile, Blues in Third, Live Hot and Blue (Universal Music), Soul Conversation et Consideration (Harmonia Mundi distribution Sony Music). Il est tenu pour responsable de la vente de 200.000 harmonicas en France, mais ce gentleman a aussi offert des harmonicas neufs à des centaines d’enfants et d’adolescents hospitalisés, lors de ses résidences en partenariat avec l’Association Musique et Santé.
Il a d’autres cordes à son arc comme le théâtre avec Xavier Simonin et une adaptation de « L’Or », un roman de Blaise Cendrars**** paru chez Grasset en 1925 (Folio). C’est le premier roman publié par son auteur, connu jusqu’alors pour ses poèmes (Les Pâques à New York, la Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France) et ses collaborations avec les peintres dans les milieux d’avant-garde. Écrit en quelques semaines au retour du premier voyage de Cendrars au Brésil (1924), L’Or a connu immédiatement un grand succès qui ne s’est jamais démenti. Il marque un tournant dans l’œuvre de son auteur qui « prend congé » du poème pour devenir tout au long des années vingt un romancier de l’aventure héroïque. L’Or est une vie romancée du général Suter, un aventurier d’origine suisse, qui fit fortune en Californie grâce à l’agriculture, il racheta la région au Mexique et en fit don aux jeunes États-Unis; mais il fut ruiné par la découverte d’or sur son territoire en 1848 et par la grande ruée vers l’or qui s’en suivit.
Comme le dit JJ Milteau, « Xavier Simonin m’a fait découvrir la richesse rythmique de la langue de Cendrars qui, en l’occurrence, gagne à être dite. Expérimenter sur de nouveaux rythmes est toujours une proposition alléchante. J’en ai profité pour me replonger avec délices dans la musique populaire américaine du XIXe siècle. Par ailleurs, l’aventure de Suter ruiné par la découverte de l’or, m’a tout de suite fait penser aux déboires de l’« industrie de la musique » face à internet. Chaque nouvelle découverte remet en cause l’ordre imposé par le précédent conquérant ».
Durant ce concert, après un beau duo d’harmonicas, Jean-Jacques Milteau nous rappelle fort justement avec un hommage à Martin Luther King que la Musique a fait évoluer les mentalités ; et il n’oublie pas une dédicace aux techniciens « qui travaillent depuis l’aube », avec une de ses composition Merci d’être venus. Rien d’étonnant à ce que ses pairs l’aient élu président de l’Adami, la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes*****, qui perçoit et répartit les droits de propriété intellectuelle des artistes interprètes français ! En cette qualité, il lutte contre les idées reçues : loin d’être une sinécure, le travail des artistes, des musiciens en particulier, fait vivre de nombreuses personnes, et pas seulement dans le spectacle vivant ; hôteliers, chauffeurs de taxi, restaurateurs etc. Le budget généré par la Musique en France, c’est 6 à 7 milliards d’euros par an ! Ce qui justifie une gestion collective de ces droits. L’Adami reverse 11 à 12 millions d’euros par an pour diverses actions, par exemple l’organisation de Festivals… Mais il s’inquiète de la généralisation de la copie privée grâce à internet qui menace les droits des artistes .
Et comme si cela ne suffisait pas à son bonheur, ce diable d’homme réalise Bon temps rouler, une émission sur TSF ! Comme son ami Manu, d’ailleurs, avec Mi La Ré Sol Si Mi.
Sans oublier des projets musicaux, comme avec le groupe londonien 24 pesos ******…
Il a fait sienne la devise de Son House : « Faut qu’au poste je reste fidèle, en prêchant le blues… »
Alors, si vous le voyez sur la route avec Joe Louis et Manu, ou d’autres amis, ne le ratez pas ! Et vous saurez ce que c’est d’avoir le Blues dans la peau : avoir toujours le printemps dans le cœur ; même au plus fort de l’hiver.
Elrik Fabre-Maigné
27 mars 2013
**** Blaise Cendrars, pseudonyme de Frédéric Louis Sauser, est né en Suisse le 1er septembre 1887. C’est un adolescent rebelle, qui abandonne ses études de médecine puis de lettres. Commence alors sa passion des voyages, Russie, Chine, Afrique, Brésil. Lors de son périple en Amérique en 1912, il compose son premier grand poème Les Pâques à New York. De retour à Paris en 1913, il fréquente le milieu des peintres et publie deux autres grands poèmes, La prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France (en collaboration avec Sonia Delaunay) et Le Panama ou les Aventures de mes sept oncles.
Dès le début de la guerre, il s’engage dans la Légion étrangère. En 1915 il est grièvement blessé et perd un bras. Après la guerre il publie Les poèmes élastiques (1919), voyage en Amérique du sud et en Afrique noire, où il se passionne pour la culture orale et compose des recueils de contes, Anthologie nègre (1921), Petits contes nègres pour les enfants blancs (1928), Comment les blancs sont d’anciens noirs (1930).
A partir de 1924, il écrit de moins en moins de poèmes et se consacre à l’écriture de romans, de reportages, de nouvelles. C’est en 1925 qu’il publie son œuvre la plus célèbre, L’or, épopée californienne, puis en 1926 Moravagine que lui a inspiré sa rencontre avec un fou dangereux interné pour homicide dans une clinique près de Berne, et Les confessions de Dan Yack en 1929.
De 1930 à 1941, il publiera une série des longs reportages, Rhum (1930), Histoires vraies (1937), La vie dangereuse (1938), D’oultremer à indigo (1941). En 1945 il publie L’homme foudroyé puis en 1946 La main coupée, roman dans lequel il dénonce « l’ignominie » de la guerre. Dans Bourlinguer (1948), il décrit onze ports européens. La Banlieue de Paris (1949) est née de sa collaboration avec le photographe Robert Doisneau. Il publie en 1959 trois pièces radiophoniques, sous le titre Films sans images, puis en 1956 son dernier récit, Emmène-moi au bout du monde.
***** http://www.adami.fr/
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