Critique.Théâtre. Théâtre Garonne, le 12 décembre 2025. LA BRANDE. Texte écriture collective. Mise en scène Alice Vannier ; Assistance par Marie Menechi. Compagnie Courir à la catastrophe. Lumières : Clément Soumy ; Son : Robert Benz ; Avec : Anna Bouguereau, Margaux Grilleau, Adrien Guiraud, Simon Terrenoire, Sacha Ribeiro, Judith Zins.
La Brande d’Alice Vannier est un spectacle dérangeant et salutaire.
Ce spectacle décrivant ce qu’a représenté la folle expérience de le psychothérapie institutionnelle est très original. Car même chez les psychiatres ce sujet est en général mal connu voir connu de manière déformée. Et comme elle est mise à mort par le managérial financier, le sujet devient une forme de document historique ou de sujet un peu obscène visant à montrer la folie dans sa globalité tant du côté des malades que des soignants. En tant que soignant j’ai ressenti comme beaucoup durant le spectacle, des moments de grand malaise. Puis la pièce m’a accompagné quelques jours avant que je puisse en faire une critique. Pièce écrite puis enrichie des improvisations au plateau, on ne doute pas un instant de la sincérité des acteurs envisageant de jouer des vrais fous. Le travail documentaire préparatoire a été énorme. Les trois actrices et les trois acteurs jouent alternativement un soignant et un malade. Ces douze personnages sont tous très attachants. Le jeu de scène est d’une virtuosité sidérante. Plusieurs fois les personnages se transforment à vue, avec quelques éléments de costume et un changement physique qui donne l’impression qu’ils changent de corps. Le jeu de chacun est très respectueux et jamais de moquerie ne transparait. Si le public rit ce n’est pas méchamment mais par sympathie. Telle folie, si proche de nous, tel découragement si compréhensible. Car ce qui transpire de chacun sur scène c’est une grande humanité et un désir d’appartenir à la grande famille humaine dans ce qu’elle a de plus heurtant, de plus dérangeant.

Les décors sont discrets, forcément les portes sont toutes ouvertes et rarement fermées. La lumière permet de se repérer dans le nycthémère apportant réconfort ou majorant l’angoisse. Musiques et sons paraissent d’un naturel incroyable. Les costumes sont contemporains au sens vague sans époque repérable durablement. Car Alice Vannier évite une reconstitution exacte. Elle cherche à communiquer l’esprit qui a présidé à cette aventure palpitante de la psychothérapie institutionnelle. Cette aventure psychiatrique pionnière a rassemblé après la deuxième guerre mondiale des psychiatres à la fois révoltés par la violence qui régnait dans les asiles et l’absence de remise en question de la normalité du soignant. Saint Alban a été le berceau de ce mouvement et d’autres lieux comme la Borde qui a servi de modèle pour la pièce ont suivi. Ce mouvement a permis des avancées spectaculaires qui ont ensuite été reprises dans les directives de la psychiatrie publique. Les deux jambes de la psychothérapie institutionnelle sont la psychanalyse et la politique. Ouverture, circulation, respect, paroles libres. Les avancées des thérapeutiques médicamenteuses permettant au même moment d’avoir des dialogues fructueux avec les malades les plus délirants.

Il y a un reproche que je ferai à cette pièce c’est qu’elle gomme la violence inhérente au soin psychique. Oui il y a eu de gens très courageux qui ont fondé cette manière de se questionner et de questionner en permanence le système de soin. Cela n’a pas été une panacée. La violence qui est absente de la pièce n’a pourtant pas pu être totalement évitée dans les lieux de soins les plus ouverts soient-ils. Ainsi le grand Antonin Arthaud n’a pas ménagé ses imprécations contre le système psychiatrique alors qu’il était hospitalisé dans un haut lieu de psychothérapie institutionnelle.

Tout ce mouvement a hélas été petit à petit brisé par les directives administratives budgétaires. Les fermetures de tous genres y compris des esprits sont légions. Les temps institutionnels de réunion ne sont plus que peau de chagrin. Les groupes thérapeutiques de malades triés par pathologie n’ont plus rien à voir avec cette mise en question de l’institution par des temps de discussions libres. Le retour des psychiatres sachants et voulant créer des malades sachants qu’ils sont bien malades est de retour. Aujourd’hui une autre forme de violence existe. Elle se matérialiste avec des malades à la rue, des manques de lit, des services de soins sous-dotés en personnels et avec de moins en moins de formations variées, des temps d’attente avant une consultation scandaleusement longs.

L’époque de la Brande est comme un rêve évanoui. Une leçon d’histoire en quelque sorte car les services de ce type se raréfient. Le malaise ressenti durant la pièce vient de là. Ceux qui sont dedans, c’est-à-dire avec les malades, sont de plus en plus seuls dans la société.

Avec un peu de recul je dois avouer que cette pièce est pourtant bien du théâtre de haut vol car des images, des mots, des situations perdurent dans la mémoire. Le jeu des acteurs est inoubliable. La direction d’acteurs est limpide.

Espérons que le public pourra apprécier cette pièce exigeante et prendre conscience que l’humanité partagée, l’accueil de ce qui dérange dans l’autre et non son rejet, est le bien le plus précieux. Le bien-être ne vient pas de se créer des groupes homogènes rassurants. La vie est pleine de grumeaux. Et peut-être cette pièce a-t-elle été un peu trop lisse à mon palais.
Hubert Stoecklin
