Critique. Concert. 45ème Festival de La Roque d’Anthéron. Parc du château Florans, le 30 juillet 2025. Maurice Ravel (1874-1937) : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur ; Concerto pour la main gauche et orchestre ; Boléro ; Bertrand Chamayou, piano ; Orchestre Philharmonique de Nice ; Direction : Lionel Bringuier.
Belle soirée Ravel à La Roque d’Anthéron
Une soirée avec les deux concertos pour piano de Ravel tient lieu d’évènement, même à La Roque d’Anthéron. Il n’est donc pas surprenant que l’amphithéâtre ait été plein ce beau soir d’été. Bertrand Chamayou qui vient d’enregistrer une intégrale de l’œuvre pour piano seul de Ravel est un peu aujourd’hui le pianiste français évident dans ce répertoire. La gageure de jouer les deux concertos la même soirée était également un atout majeur. Un orchestre français, celui de Nice et un chef Français, Lionel Bringuier sont des partenaires idiomatiques. La présence de France Musique qui diffuse en direct et le vent calmé ajoutent du superbe à la soirée. En tous cas les attentes sont fortes avant même le début du concert. Pour le concerto en sol, dès l’entrée de l’orchestre sur le fameux clap, le tempo paraît mesuré. Et c’est ce qui restera de cette interprétation. La mesure au sens de la pondération. Pas d’excès, pas de folie non plus, du beau piano, du bel orchestre tout du long. Le rythme est bien tenu, les nuances prudentes et la lumière sur les couleurs sans puissance excessive. Très loin des interprétations glamour ou surprenantes ce Ravel est raisonnable et de bon goût. La virtuosité développée par Bertrand Chamayou est parfaite. Celle de L’orchestre de Nice également. Le chef sait organiser le discours et cela avance bien. Après un sage premier mouvement l’adagio est paisible et reposant. Le final est plus festif mais lui aussi paraît plus raisonnable que fou.
Après l’entracte l’introduction orchestrale du concerto pour la main gauche est admirablement dirigée par Lionel Bringuier. Le son caverneux est angoissant et le crescendo terriblement réussi. L’effet est sidérant devant cette noirceur peignant la guerre et ses souffrances. L’entrée du piano de Chamayou est du même tenant. Cette interprétation est tout à fait remarquable.
La main gauche de Bertrand Chamayou est puissante et très expressive. L’entente entre le chef, l’orchestre et le soliste est totale. Le sérieux devient ici profondeur, la mesure devient ici une qualité qui permet à l’angoisse de grandir. La beauté noire du concerto s’exprime puissamment dans cette très belle version. L’orchestre de Nice trouve des couleurs superbes et des nuances extrêmes. Le piano de Chamayou virtuose bien sûr, garde une maîtrise totale de chaque effet. Lionel Bringuier très attentif à tout, met en place avec une grande précision tout le drame. Chaque détail est magnifié, la structure générale est limpide.
La gestuelle simple et efficace de Lionel Bringuier est sans emphase inutile. C’est un très beau travail d’équipe qui permet à la puissance de ce concerto de se développer. Le public sous le choc fait un triomphe aux artistes, le chef fait saluer les différents solistes de l’orchestre. Et Bertrand Chamayou ravi donne deux bis. Fidèle à Ravel il joue une adaptation de la mélodie pour choeur à 4 voix « trois oiseaux du paradis » ; le thème de la guerre inhérent est ici plus poétique, le piano de Chamayou se fait tendre.
Puis « jeux d’eau », nous avions deux jours avant entendu Benjamin Grosvenor le jouer en bis avec un son d’une beauté incroyable et obtenir des effets liquides bouleversants. Bertrand Chamayou l’aborde très différemment avec un piano moins spectaculaire, plus analytique mettant en valeur la structure et la technique pianistique. Il est fascinant de pouvoir entendre de la même pièce des partis pris si différents en quelques jours. Sur le moment c’est celui que nous entendons qui paraît le plus beau…. Le public a le droit et même le devoir d’être inconstant et d’aimer la variété des interprétations !
Pour terminer la soirée le Boléro va permettre au chef et à l’orchestre de briller. Le Boléro de Nice et de son chef Lionel Bringuier est épatant. Les musiciens se sont surpassés, rigoureux et concentrés. Les couleurs sont magnifiques. Le grand crescendo est construit avec un grand art par Lionel Bringuier, sa battue garde le tempo avec efficacité ce qui permet à la tension de monter, monter. L’explosion finale est libératoire.
Bravo à chaque instrumentiste, Lionel Bringuier les fait saluer un à un c’était vraiment justifié. Le succès est total et le bis offert par l’orchestre va nous confirmer que l’entente entre le chef et l’orchestre est excellente. L’hommage à l’orchestrateur de génie qu’est Ravel est fait avec la Grande porte de Kiev des tableaux d’une exposition de Moussorgski. Quel orchestre, quel chef c’était grandiose !

Photo : H.S.
Là également entendre les vraies cloches a été un grand moment quand Benjamin Grosvenor dans son récital nous les avait fait entendre avec son piano. Voila des réponses musicales à travers les concerts qui sont un rare privilège. Quel festival magique que La Roque d’Anthéron !
Écrit par Hubert Stoecklin
Photos : Valentine Chauvin