Erwan Letertre (1), l’organiste titulaire de l’orgue de Notre-Dame-de-l‘Assomption de Luchon ne se lasse pas de parler de sa passion pour la musique d’une part et pour l’orgue d’autre part; et pour « son » instrument en particulier, celui de l’Eglise de Luchon à l’âge vénérable, puisqu’il fêtera ses 155 ans en 2025.
« Pour moi la musique, cela a d’abord été l’amour du piano. Et puis un jour, un peu par hasard, j’ai joué sur un orgue. Et là tout a basculé. Parce que l’orgue est puissant, car cette puissance, celle d’un orchestre entier est infinie, parce sa sonorité dépasse tout ce que je connaissais.
Et puis je l’ai rencontré, lui, l' »Aristide Cavaillé-Coll de Luchon », classé Monument Historique. Un instrument vivant qui renvoie toute l’énergie et les émotions que l’organiste lui transmet avec cette sonorité propre et si particulière des Cavaillé-Coll. Cet orgue que certains verront comme « petit » et qui pourtant a conquis les plus grands organistes actuels qui sont venus pour lui, ici à Luchon !
Et c’est avec un plaisir non dissimulé qu’il fait les honneurs de « la Rolls-Royce de ces instruments extraordinaires, qui favorisent l’élan spirituel vers le ciel »: j’ai la sensation qu’il parle d’un grand vaisseau musical dont il est le capitaine, seul maître à bord après Dieu.
Je reconnais bien volontiers qu’avec ses 3 claviers de 54 notes chacun, ses 3 pédaliers de basse qui font trembler le plancher et son buffet d’orgue impressionnant, l’instrument construit en 1869-1870 par l’un des plus célèbres facteurs d’orgue du XIXe siècle, ne peut que susciter l’admiration vu d’en haut, et la sidération vu de la nef; surtout quand il est joué par Erwan Letertre, et ses prestigieux invités dans le cadre du Festival qu’il organise chaque année en août avec son association AVOCaCol (2)
Pour cet instrument hors normes, il y a même derrière le buffet une bassine pour rafraichir l’orgue toutes les semaines en été (!), car le taux d’humidité doit être constant. Et des peaux d’agneaux de différentes épaisseurs pour toutes les parties devant être étanchéifiées, celles des soufflets étant plus épaisse que celles des soupapes par exemple (!).
Comme c’est un orgue « non automatisé », (à la différence des orgues mécaniques tel l’orgue de barbarie), le musicien doit anticiper le retour du son dans la grande nef, et être légèrement en avance sur les chants par exemple pendant la liturgie.
Les organistes invités doivent être présents 2 jours avant leurs concerts pour apprivoiser le son; de même l’organiste doit être à pieds (et mains) d’œuvre au moins 2 heures avant le concert pour accorder son instrument…et s’accorder avec lui.
A l’origine, avant l’électricité, il y avait plusieurs personnes qui pompaient derrière l’orgue pour envoyer de l’air dans ses tuyaux, mais cela reste pour l’homme seul qui le fait chanter un exercice très physique qui nécessite des jeux de mains et de pieds acrobatiques occasionnant souvent des crampes, tout en suivant souvent 3 partitions en même temps, et une grande concentration, mais Erwan Letertre ne regrette pas du tout: il s’est dévoué corps et âme à ces flûtes de Pan géantes, ou plus exactement à cet ensemble de flûtes de Pan géantes (Pierre Golaz). Cela ne l’empêche pas de maîtriser aussi l’informatique, en particulier avec les partitions sur tablette ou les préparations lumineuses sophistiquées durant les concerts.
Titulaire peut sembler un titre pompeux, mais c’est une véritable mission qui doit respecter et suivre tous les dimanches de l’année la liturgie avec son rituel bien rodé (Kyrie, Sanctus etc.), même si Erwan Letertre se permet des improvisations, et tout en restant à l’écoute de l’assemblée: « si celle-ci donne de de la voix, on peut lâcher les chevaux » comme il dit. « J’ai l’impression d’entendre le Chœur céleste des Anges musiciens et j’ai envie de chanter avec eux. »
Ses goûts sont très éclectiques puisque ses compositeurs préférés vont du baroque au romantisme et même jusqu’au contemporain.
« L’orgue n’est pas seulement un instrument de musique d’église » précise Erwan Letertre, et il poursuit: « il sert également à la musique de variété, à l’accompagnement de films muets comme « The artist », les improvisations de toutes sortes » comme celle du célèbre comédien Fabrice Lucchini qui a fait son show entrecoupé d’improvisations d’organistes.
Il a même une petite prédilection pour le cinéma, muet en particulier que l’on peut faire accompagner par l’orgue, pour faire découvrir encore une fois que cet instrument n’est pas uniquement liturgique; et qu’il a même des vertus éducatives, puisque le jeune public est avide de visuels: le cinéma même ancien est donc un bon viatique pour les accompagner dans cette découverte.
Il joue ce jour-là la toccata du Carillon de Westminster de Louis Vierne « avec la sensation magique d’être seul dans le noir, puis savoure le silence durant la transsubstantion, (dans la religion catholique, le changement du pain et du vin en la substance du corps du Christ), cette pause prégnante, comme on dit au théâtre, durant la messe.
De même, il utilise son orgue comme un « outil pédagogique » en invitant de jeunes musiciens: ce jour-là, il donnait le tempo à un adolescent qui interprétait la Sarabande de Haendel pendant la Communion, sous l’œil attendri de sa grand-mère et de son petit-frère. Je ne peux m’empêcher de me remémorer le film Barry Lindon où ce morceau apportait une grande intensité, rythmant la vie tragique, sombre, et funeste du « héros. »
Pour Erwan Letertre, « un orgue c’est comme le bon vin: plus il vieillit, plus il est bon » dit-il en m’offrant un petit coup à boire (du Vouvray ce jour-là) dans sa pièce où il vient se reposer pendant les pauses. Cela peut sembler iconoclaste, mais c’est sous le regard de Joan Sebastian Bach peint en pied; et après tout le prêtre boit bien le vin de messe…
Je me rappelle Francis Jammes, le doux poète bon chrétien du Béarn:
Le vin blanc, soleil vu au travers de la treille,
Aucun vin, ni celui d’Ausone, ni celui
De Racine ne vaut le vin de mon pays!
Comment sera le paradis?
Il y aura des flûtes et des harpes,
Des poulardes et des carpes,
Avec un bon vin de chablis!
L’orgue aussi est un bon viatique pour monter au ciel.
Pour en savoir plus :
1) Erwan Letertre, né à Nantes en 1978, est attiré par la musique dès son plus jeune âge et commence l’étude du piano à 11 ans. Menant ses études pianistiques avec Roselyne Béringer, Erwan se passionne pour l’orgue dont il débute l’apprentissage dès 1992 auprès de Louis Yhuel, organiste titulaire de la collégiale Saint-Aubin de Guérande. Entré à l’Institut Musical Européen de Besançon, il obtient en 1999 le diplôme de Piano Supérieur 2ème Année à l’unanimité du Jury, avec les félicitations de son président Raffi Petrossian. Pendant ses études de piano et d’orgue, Erwan travaille l’harmonie et l’écriture avec Pascal Daniel, chanteur et compositeur de chants liturgiques, frère d’Étienne Daniel, également compositeur de musiques chorales. Entre 1992 et 1999 Erwan tient les orgues de l’église Saint-Martin de Vertou, en Loire-Atlantique. Puis de 2003 à 2011, toujours en Loire-Atlantique, il est organiste à la paroisse Saint-Vincent-des-Vignes de Vallet, où il joue sur les orgues de Vallet, Mouzillon, la Regripière, la Chapelle-Heulinet et le Pallet. En 2019, souhaitant achever ses études musicales par l’obtention de la Licence de Concert, il est admis sur concours à l’Institut Catholique de Toulouse, en Troisième Cycle d’organiste liturgique, dans la classe d’orgue de Camille Scavelli. Depuis janvier 2019, Erwan tient régulièrement les claviers de l’orgue de Luchon et est Président de l’Association « Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon » (AVOCaCoL). Le 15 Août 2020 Erwan Letertre est officiellement nommé organiste titulaire du Grand Orgue Cavaillé-Coll de Bagnères-de-Luchon.
2) AVOCaCol est une association qui fait la promotion de l’orgue Cavaillé-Coll de Luchon. Elle organise des concerts pour faire découvrir cet instrument et cette musique aux jeunes des écoles, des collèges, des lycées, à leurs parents et grands-parents… pour leur montrer que cet instrument n’est pas uniquement un instrument liturgique. Mais attirer ce public nouveau exige des images pour donner vie à un vrai spectacle qui soit autant visuel que musical, ce que nous souhaitons proposer avec l’utilisation de la vidéo. Il s’agit d’une véritable mise en scène de chaque concert à travers l’installation du matériel technique permettant la captation des images des concerts, de mixer les images des différentes caméras, voire d’incruster des images préalablement enregistrées. Les éclairages apporteront beaucoup à la scénographie de chaque évènement.
Elle organise des concerts pour faire découvrir cet instrument et cette musique aux jeunes des écoles, des collèges, des lycées, à leurs parents et grands-parents.., pour leur montrer que cet instrument n’est pas uniquement un instrument liturgique. Mais attirer ce public nouveau exige des images pour donner vie à un vrai spectacle qui soit autant visuel que musical, ce que nous souhaitons proposer.
Il s’agit d’une véritable mise en scène de chaque concert à travers l’installation du matériel technique permettant la captation des images des concerts, de mixer les images des différentes caméras, voire d’incruster des images préalablement enregistrées. Les éclairages apportent beaucoup à la scénographie de chaque évènement.