Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Des livres peuvent prendre des chemins détournés pour s’imposer à leur auteur. Ainsi, Le Remplaçant, publié en 2009 par l’auteur d’Un secret sans importance, devait être consacré à Janusz Korczak, pédagogue et écrivain qui dirigea plusieurs orphelinats dont celui du ghetto de Varsovie pendant la guerre. Si cet homme, mort en déportation auprès de « ses » orphelins pour lesquels il fut une sorte de père de substitution, est évoqué dans des pages poignantes, c’est un autre « remplaçant » qui est devenu la figure centrale d’un récit où l’émotion avance sans apitoiement, avec une délicatesse qui n’exclut pas la légèreté.

Agnès Desarthe © Celine Nieszawer / Éditions De L’Olivier
« Bouz, Boris, Baruch n’est pas le père de ma mère. Le père de ma mère a été tué à Auschwitz en 1942. B.B.B – appelons-le ainsi, pour faire plus court – est l’homme avec qui ma grand-mère, la vraie, la mère de ma mère, a refait sa vie », précise Agnès Desarthe dans les premières pages de son récit. Voici donc « triple B » : juif moldave et communiste, engagé dans l’armée française en 40 et prisonnier de guerre. Âgé de 96 ans au moment de l’écriture du texte, il survécut à tout, au fracas de l’Histoire, à la dépression, à la maladie, à ses femmes… « Je voudrais qu’il existe un livre sur mon grand-père dans lequel tous les renseignements seraient consignés. Je pourrais lire ce livre, j’adorerais lire ce livre, mais c’est idiot car c’est moi qui dois l’écrire », confie Agnès Desarthe.
Des rêves plus puissants que la réalité
C’est donc en inventant, en recomposant et en puisant dans ses propres souvenirs d’enfant qu’elle va dessiner le portrait d’un homme qui, conteur hors pair, « avait compris que l’enchantement ne doit pas jaillir de la chute, mais plutôt agir tout au long de la narration ». L’écrivain n’a pas oublié la leçon et nous offre, en moins de quatre-vingt-dix pages, un voyage inoubliable à la recherche de « choses perdues et jamais retrouvées » où l’on croise « des rêves plus puissants que la réalité, des visions, des fantômes de caresses, un sentiment de bonté universelle. » Sous sa plume, ce travail sur le passé et la mémoire n’est jamais un devoir infligé par pénitence, mais un jeu et un art : celui de raconter des histoires.
« Ces derniers temps, la réalité gagne de plus en plus contre la fiction. Je me demande, dans ces conditions, ce que va devenir mon peuple dont l’aristocratie se compose essentiellement de conteurs, bons ou mauvais, peu importe », s’inquiète Desarthe. Alors, qu’il s’agisse d’une recette d’autrefois mystérieusement disparue ou d’une vieille assiette faisant entendre des voix aimées et disparues, Le Remplaçant restitue « cette cohabitation tranquille entre les vivants et les morts ». Et c’est bouleversant.
Le Remplaçant • éditions de l’Olivier