Dans la chronique Les albums culte à écouter, Culture 31 fait honneur à un grand album de l’histoire de la musique.
Erotica de Madonna
Sorti dans les bacs en 1992, Erotica de Madonna se plonge dans l’amour charnel et la douleur sur fond de musiques trip-hop et dance des années 1990. Acclamé mais controversé par son lien avec le livre connexe de photos Sex, cet album révèle une Madone intime et audacieuse.
Sur la piste éponyme, elle susurre : « celui qui te blesse est le seul à pouvoir te soulager ». Ça donne le ton. Un disque sensuel, celui-ci est fait de sous-entendus, entre délires BDSM et ballades tristes. Après le génial Like a Prayer (1989), elle choque mais brille musicalement parlant. Erotica est un voyage dans ses fantasmes et ses peines, à redécouvrir pour son audace qui reste intacte.
Un son qui caresse et qui blesse
Madonna, reine incontestée de la pop depuis son album à hits Like A Virgin (1984), sort Erotica en 1992 après le hit mondial Vogue et le clip sensuel et BDSM de Justify My Love (1990). Erotica est la continuité de cette exploration sexuelle plus explicite. Il s’ouvre sur son single éponyme : un trip-hop rappé/parlé, avec des samples de Kool & The Gang et de la diva libanaise Fairuz, entre domination et douleur plaisante. Fever, repris du standard connu mondialement avec la version de Peggy Lee, devient chez Madonna un titre house fiévreux, sa voix douce et empêchée renversant le classique. Deeper and Deeper glisse du disco à la guitare flamenco, citant Vogue et Barry White pour un sentiment amoureux libéré. Shep Pettibone signe une production léchée, chaque titre ou presque dépassant cinq minutes pour 1h15 d’album grâce à la prédominance du format CD, lequel avait tué le vinyle la décennie précédente. Dans Where Life Begins, elle slame le plaisir avec un saxophone jazzy, prônant le safe-sex face à la pandémie du sida, virus contre lequel l’activiste Madonna a toujours lutté.

Madonna, lors du Who’s That Girl World Tour en 1987 © Georges Bekker / Wikimédia
Une âme mise à nu
Sous l’audace, Madonna se dévoile. Rempli de photos explicites d’elle et de ses amis Isabella Rossellini – qui a récemment brillé dans Conclave – et la plus célèbre des tops model Naomi Campbell, le livre Sex aurait pu annoncer un suicide médiatique, mais la critique salue un opus plus classe que sa promotion vidéo. La chanson Bad Girl peint une femme brisée, alcoolique qui fume pour essayer d’oublier son chagrin. Waiting creuse l’amour déçu par le biais des rapports humains pas toujours simples. Sa voix grave gronde sur une basse profonde et un uptempo à contre-courant des paroles de la chanson. In This Life pleure des amis morts du sida. Elle considère que « l’ignorance n’est pas un bonheur. » Par ce cri contre l’indifférence, elle fait de la prévention. Peu inspirée, la ballade à la Wilson Phillips Rain compare l’amour à la pluie, ses harmonies lyriques et gospel chasse la peine. Secret Garden, la dernière piste de l’album, est un majestueux poème acid jazz et trip hop, ode à ses parties intimes comme refuge fantasmé enclin à la tristesse. Elle y conclut l’album en chuchotant : « somewhere in fountain blue lies my secret garden. » (« quelque part dans la fontaine bleue gît mon jardin secret »). Le choc irrévérencieux accompagné d’une mélancolie permanente : c’est la carrière musicale de Madge. Certes, elle choque l’Amérique puritaine en défendant l’expression charnelle mais comme un Prince, elle sacralise le sexe comme quelque chose de beau, naturel et spirituel tant qu’il ne fait de mal à personne ; dans l’exploration de ses rêveries.
En somme, ce disque, intime et militant, se tient en équilibre entre fantasmes et fragilité. Erotica est magnifié par la liberté totale des thèmes abordés. Album absolument culte à écouter, c’est une énième réinvention d’une Madonna qui surprenait encore.