Avant-propos: je rappelle à mes fidèles ou nouveaux lecteurs et lectrices que cette chronique, sans feu ni lieu comme la Compagnie du Rêveur que j’anime, hébergée gracieusement par Culture 31 que je remercie encore une fois, est avant tout littéraire, même si la Musique m’y prends souvent comme une mer.
L’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines à Toulouse avait mis ses habits de printemps, bleus, jaunes, roses, pour honorer l’Ensemble Amarillis, dont le nom me fait justement penser à cette étonnante fleur rouge (1) que l’on associe souvent aux fêtes vernales.
En attendant le début de leur concert avec Patricia Petibon, j’ai eu une pensée émue pour le regretté Didier Lockwood (dont cette dernière fut l’épouse) que j’ai connu alors qu’il n’avait pas encore 18 ans, tout frais émoulu du Conservatoire de Calais, et qu’il faisait ses premières armes avec le groupe de rock progressif Magma dont j’organisais les concerts en région: il était flamboyant; comme la chanteuse de ce soir.
C’était donc le Mardi 1er avril 2025 mais ce n’était pas un poisson d’avril: les Arts Renaissants (2) recevaient bien Patricia Petibon (3) et l’Ensemble Amarillis (4), composé d’Héloïse Gaillard, flûtes à bec dont elle est une virtuose (on ne s’étonne pas que Jean-Marc Andrieu, grand flûtiste lui-même devant l’Eternel, ait un petit faible pour elle), hautbois baroque et direction, Alice Piérot, violon, Liv Heym, violon alto, Eleanor Lewis, viole, Marouan Mankar Bennis, clavecin, Yula S, percussions, Daniel de Morais, guitare et théorbe.
Ce soir-là ils ont évoqué trois destins, trois reines, trois époques: Queen Mary (1662-1694) avec Henry Purcell, Aliénor d’Aquitaine (1122-1204) avec Thierry Escaich, Agrippine la Romaine (15-59) avec Georg Friedrich Haendel. Un programme original et audacieux pour rendre hommage à trois femmes souveraines, confrontées au pouvoir, ambitieuses parfois manipulatrices, souvent blessées et vulnérables, qui ont subi l’abandon et la trahison, mais d’abord humaines et profondément touchantes.
D’abord la reine Mary II d’Angleterre qui a inspiré jusque dans sa mort précoce des chefs d’œuvre de l’un des plus grands compositeurs britanniques, lui aussi disparu prématurément, dont elle était la protectrice, Henry Purcell (1659-1695), et dont les enregistrements font partie de mes disques de chevet (Music for Queen Mary par John Eliott Gardiner, The Fairy Queen par Les Arts Florissants, King Arthur par Alfred Deller).
Je dois avouer que la courte durée de cette partie du programme m’a laissé un peu sur ma faim; mais, à y réfléchir, cela correspondait bien au destin éphémère de cette muse royale.
Et les extraits de Fairy Queen, la Reine des Fées, aux accents primesautiers étaient tout-à-fait de saison, comme si les oiseaux de la musique pouvaient nous faire oublier quelques moments le chaos du monde:
Suite from The Fairy Queen, Z. 629, Act II, Prelude for the Birds
« Ô temps suspends ton vol » aurait dit Lamartine…
En troisième partie, Agrippine la jeune, impératrice romaine, mère de Néron et sœur de Caligula, Agrippina condotta a morire, au destin tragique puisqu’elle fut assassinée sur l’ordre de son fils, a inspiré Georg Friedrich Haendel (1685-1759), dont les compositions sont toujours un régal, en particulier ses 45 arie d’opéra, dans cette douce langue italienne, si harmonieuse, où même le silence est musique.
Aliénor d’Aquitaine (4), reine de France et d’Angleterre, méritait bien un Tombeau digne de son gisant dans l’église de l’Abbaye royale de Fontevraud en Anjou, dont l’Ensemble Amarillis est originaire (ce n’est certainement pas un hasard).
J’attendais beaucoup de cet hommage à « la reine des troubadours » chantée par Bernard de Ventadorn, le plus grand de ceux-ci selon mon cœur, dont elle fut la protectrice.
Les chroniqueurs racontent qu’elle se plaisait à assister à la célèbre Cour d’amour du château de Puivert dans l’Aude qui a inspiré Peire d’Auvergne: « Ce vers a été composé aux flambeaux, à Puivert, tout en jouant et en riant. »
Sa beauté a été chantée jusque dans les Carmina Burana de Carl Orff en 1936:
« Si tout l’univers était mien
Depuis l’Océan jusqu’au Rhin
J’y renoncerais avec joie
Pour pouvoir tenir dans mes bras
La reine d’Angleterre«
Et elle reste pour moi celle qui nous dit encore: » Se peut-il que dans ce monde où « je suis morte depuis longtemps » (« Mòrta sui eu gran res »), la musique puisse par cette douce simplicité, la beauté du son du luth prolongé par celui de la vièle, effacer cette douleur et rendre vie aux sentiments d’éternité, cette musique qui par la voix des troubadours donnait vie et rêve le temps d’une ballade ou d’une complainte aux plus humbles comme aux plus puissants ? «
Je ne suis malheureusement pas suffisamment initié pour apprécier la création contemporaine qui accompagnait son évocation. Même si les musiciens et la chanteuse ont mis toute leur conviction et leur talent à défendre poème et composition.
Cependant, dans la bouche de Patricia Petibon, le dernier vers « Dans le silence entendez-vous ma voix de marbre ? » a fait résonner ceux de Charles Baudelaire pour La Beauté (in Les Fleurs du Mal):
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière (…).
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études (…)
Je laisse à mes honorables confrères musicologues le soin de détailler la prestation de l’Ensemble Amarillis, emmené par Héloïse Gaillard, qui alliait à son habitude « verve, entrain et finesse. »
Pour ma part, j’ai été envouté par celle de Patricia Petibon, qui est avant tout une grande soprano colorature dont la voix ferait pâlir même les sirènes des Chants d’Ulysse.
Ce soir-là elle a aussi joué, à mon sens, le rôle du Clown blanc dont elle avait toutes les caractéristiques: costume blanc (comme l’Amaryllis de la légende) sur l’écrin noir de ceux des musiciens, chevelure rousse flamboyante en forme de cône, grandes lunettes d’écaille et beaux souliers pailletés.
Elle a incarné un personnage merveilleux, dansant, aérien, léger ou grave, sérieux et majestueux, qui pourrait bien être la Reine des Fées, The Fairy Queen, d’Henry Purcell; comme elle, « elle sait charmer, distraire et surprendre. »
Elle m’a aussi évoqué (on me pardonnera cette analogie quelque peu iconoclaste) une diva rock-and-roll à la Nina Hagen, et sa fantaisie ludique était très printanière, en totale correspondance avec les couleurs de notre chère Saint-Pierre-des-Cuisines, de la belle journée qui venait de s’éteindre sur les berges de la Garonne au couchant.
Et La Rose à voix de soprano de Robert Desnos (1900-1945), un poète assassiné:
La rose à voix de soprano
joue la nuit du piano
Cela charme les monts et la plaine
le Rhin, la Loire et la Seine
et les fées et les sirènes
dans leurs palais de roseaux
La rose à voix de soprano
est connue même à Concarno
à Fosse-Repose et à Locarno
Et dans les faubourgs de Kovno
Et sur les plages de Bornéo
Et dans tous les châteaux à créneaux.
Si Aliénor était deux fois reine, comme l’a écrit Serge Chauzy, « aux Arts Renaissants Patricia Petibon l’était trois fois ! »
En rappel, nous avons eu droit à la Marche pour les Matelots et Matelotes de Marin Marais, – qui apparaît pour la première fois dans l’opéra Alcyone de celui-ci en 1706 et trouve son origine parmi les chants de marins français du XVIIIème siècle -, dont je me suis souvenu de la belle version par Jordi Savall, Le Concert des Nations et La Capella Reial de Catalunya en l’Abbaye de Fontfroide, je ne sais plus en quelle année:
Cette « matelote » était fort bien bienvenue à la fin du dernier concert de la saison 2024-2025 des Arts Renaissants qui nous inviteront encore « à mettre à la voile Vers nos pâles étoiles, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther (…): l’annonce de la saison 2025-2026 (5) de cette « association d’amoureux de la musique, professionnels et amateurs », nous met déjà l’eau à la bouche.
Et nous dirons avec eux: « La musique plus que jamais nous aide à lutter contre la morosité ambiante et reste un vecteur essentiel du vivre et s’émouvoir ensemble. »
En repartant dans la nuit fraiche d’avril, captivé par les hommages rendus à ces trois Reines par ces artistes exceptionnels, en particulier la soprano, me sont revenus les derniers vers de La Chanson du Mal-Aimé de Guillaume Apollinaire (1880 – 1918):
(…) Moi qui sais des lais pour les reines
Les complaintes de mes années
Des hymnes d’esclave aux murènes
La romance du mal aimé
Et des chansons pour les sirènes…
Photos © Monique Boutolleau / Les Arts Renaissants.
Pour en savoir plus :
1) Appréciée des jardins victoriens de la fin du XIXème siècle, l’amaryllis est symbole d’une beauté fière, altière: dans les Bucoliques de Virgile, Amaryllis est hautaine est dédaigneuse. Elle est aussi la détermination et la beauté flamboyante.
La mythologie veut qu’Amaryllis fut initialement une nymphe timide et réservée. Elle tomba follement amoureuse d’Alteo, un berger ayant la force d’Hercule et la beauté d’Apollon, mais qui ne l’aimait pas. Espérant qu’elle réussirait à gagner son amour en lui procurant la chose qu’il désirait le plus – une fleur si unique qu’elle n’avait jamais existé auparavant dans le monde – Amaryllis demanda conseil à l’oracle de Delphes. Suivant les instructions de l’oracle, Amaryllis se vêtit entièrement de blanc comme une jeune fille et apparut à la porte d’Alteo pendant 30 nuits, perçant à chaque fois son cœur d’une flèche d’or. Quand Alteo ouvrit enfin sa porte, il trouva devant lui une fleur d’un pourpre magnifique, jaillie du sang du cœur d’Amaryllis. Pourvue de ce mythe romantique – bien que tragique – il n’est pas étonnant que l’amaryllis symbolise aujourd’hui la fierté, la détermination et la beauté rayonnante.
2 ) Les Arts Renaissants – 22 bis rue des Fleurs 31000 Toulouse
3) Patricie Petibon https://fr.wikipedia.org/wiki/Patricia_Petibon
5) Aliénor d’Aquitaine était le plus beau parti du XIIème siècle. Aussi séduisante qu’intelligente, cette femme dont la réputation a traversé les siècles a su tirer profit de son statut exceptionnel et devenir successivement reine de France et reine d’Angleterre.
Cette femme puissante qui a vécu plus de 80 ans, était exceptionnelle à bien des égards: grande voyageuse, fine lettrée, elle avait appris le latin et a été mécène des arts, à bon école car son grand-père Guillaume IX d’Aquitaine a été le premier troubadour dont on a des traces dans l’histoire de la littérature française.
Le rôle d’Aliénor pour la diffusion des arts et des lettres est immense. En témoignent l’expansion de la lyrique troubadouresque en Champagne par l’intermédiaire de sa fille Marie qui commanda les premières chansons au tout jeune Chrétien de Troyes, mais aussi les chansons de son fils Richard Cœur de Lion, connu pour ses talents de poète.
Bernard de Ventadorn, lui aussi originaire du Limousin, appartient à la deuxième génération de troubadours. Sa période d’activité se situe dans les années 1150, soit au moment où la lyrique courtoise s’étend au nord de la France.
6) Saison 2025-2026:
– 18 nov. 2025: Amaury Duvivier (clarinette) et l’Ensemble Virtuoso,
– 16déc. 2025: Heather Newhouse (soprano) Vincent Beer-Demander (mandoline) et Le Concert de l’Hostel-Dieu (dir. Franck-Emmanuel Comte),
– 6 janv.2026: Les Kaspber’Girls,
– 3 fev. 2026: Café Zimmermann (dir. Pablo Valetti)
– 31 mars 2026: Rolando Luna (piano), Constant Despres (piano) et Julien Martineau (mandoline),
– 17 avr.2026: Thomas Dunford (luth) et Théotime Langlois de Swarte (violon).
Ouverture des abonnements: 6 concerts 160€ (en ligne ou par courrier) le 12 mai 2025.