20 ans après le portrait de Johnny Cash dans « Walk the line », James Mangold s’attaque à l’Himalaya Dylan avec « Un parfait inconnu ». Le réalisateur se focalise sur les premières années de l’artiste, débutant devenu rapidement une icône grâce à ses chansons en prise directe avec la jeunesse américaine contestataire. Et c’est une réussite impressionnante portée par un Timothée Chalamet stupéfiant.
On n’imaginait pas les choses ainsi mais Bob Dylan ne serait-il pas un cousin américain de Charles Aznavour ? Les deux artistes partageaient la même obsession du travail ciselé, passant leurs jours et leurs nuits à écrire et à composer, clope au bec, corps en feu. Ils furent aussi de grands séducteurs, tout au moins dans leurs jeunes années, laissant de côté leurs compagnes une fois le désir essoré, préférant poursuivre leur chemin musical auprès de fidèles lieutenants. Pour autant, ces deux personnages essentiels de la chanson sont abordés de façon diamétralement opposée au cinéma. La biographie filmée de Mehdi Idir et Grand Corps Malade veut tout dire, en 2h13, de « Monsieur Aznavour », de la naissance à la mort. Gâchant ses meilleures scènes par un épuisant effet-zapping et une interprétation caricaturale de Tahar Rahim. Pour raconter Robert Allen Zimmerman, campé de façon éblouissante, toujours juste, jamais appuyée, par Timothée Chalamet, James Mangold se focalise sur une période essentielle, de 1961 à 1965, de l’arrivée de l’artiste à New York depuis Minneapolis au coup d’éclat électrique au festival folk de Newport. Celui qui avait réalisé un portrait puissant de Johnny Cash dans « Walk the line », en 2005 (Cash qu’on retrouve ici en fervent soutien du jeune Dylan), poursuit en quelque sorte la même histoire d’une Amérique qui rue dans les brancards, s’intéressant aux pauvres, aux délaissés, aux idéalistes portés par leurs rêves d’égalité et de fraternité. A 20 ans, Bob Dylan rencontre deux idoles de ce mouvement folk contestataire : Woody Guthrie, hospitalisé pour de graves problèmes respiratoires (il mourra en 1967), et son ami Pete Seeger, qui ne cesse de porter la bonne parole de « l’amour, l’amitié et la paix », toujours vaillant, souvent en lutte avec les politiciens réactionnaires et les tribunaux. Pete Seeger (joué par un Edward Norton étonnant, sourire aux lèvres, tout de tendresse et de générosité) sera l’ange-gardien de Bob Dylan, lui ouvrant bien des portes dans le monde de la musique, l’invitant notamment au prestigieux festival de Newport, en 1963. Cette année-là, le « parfait inconnu » (« a complete unknown » dans la chanson « Like a rolling stone ») accède au vedettariat grâce au tube « Blowin’ in the wind ».
James Mangold reconstitue avec soin cette période charnière, tant pour un homme devenu icône que pour un pays fracturé (crise des missiles soviétiques à Cuba, lutte pour les droits civiques, guerre du Vietnam, assassinat de John Kennedy…) Son portrait montre à quel point le charme bohème de Dylan était ravageur mais combien il pouvait aussi être un « sale con » avec les femmes, qu’il s’agisse de la toute douce Sylvie (1), muse des touts-débuts new-yorkais (délicieuse Elle Fanning) ou de Joan Baez (Monica Barbaro, la grande découverte du film), star qu’il adulera, lui composant de superbes chansons comme « Farewell Angelina » ou « Don’t Think twice, it’s alright » avant de la laisser tomber comme les autres. Si James Mangold excelle dans l’approfondissement psychologique de chacun des personnages, il emporte aussi le morceau avec les scènes d’enregistrements et de concerts, toutes exaltantes. On ressent avec le public qui la découvre la force de frappe immédiate de « The times they are a-changin’ », hymne absolu de la « protest song ». Et l’on est saisi par la révolution de 1965, Bob Dylan quittant les rivages tranquilles de la musique folk pour mettre de l’électricité dans son répertoire. En juillet, il prend les spectateurs de Newport à revers. Ils veulent « Blowin’in the wind » et « Mr Tambourine man ». Avec son groupe rock, il leur balance à la figure trois titres furieux dont « Like a rolling stone », provoquant incompréhension et fureur… avant de conclure, plus paisiblement, avec « Its all over now, baby blue ». Bob Dylan avait raison avant tout le monde : un mois plus tard, « Highway 61 Revisited », son 6e album, en fera une star mondiale, un génie de la pop, adulé et révéré, jamais délogé de son piédestal depuis.
« Un parfait inconnu », mercredi 29 janvier au cinéma.
(1) Artiste puis enseignante, elle s’appelait en réalité Suze Rotolo (1943-2011).