Qui était vraiment Leni Riefenstahl, réalisatrice novatrice ou propagandiste nazie – ou les deux ? Un documentaire exceptionnel, projeté à l’ABC, explore la vie d’une femme qui refusa toujours d’affronter son passé.
Leni Riefenstahl se regarde les ongles, qu’elle a toujours soignés. Nous sommes dans les années 1970 et, face à un journaliste, la réalisatrice star de la propagande nazie ne répond pas. Elle vient de résumer sa vie comme « difficile mais très riche » et reconnaît avoir commis « des erreurs ». « Être proche d’Hitler en est-elle une ? » Silence… Le passionnant documentaire « Leni Riefenstahl. La lumière et les ombres », d’Andres Veiel, est plein de ces moments de gêne, souvent accompagnés de colères – celles d’une vieille dame qui refuse d’affronter son passé, privilégiant l’évitement voire le mensonge.
D’abord actrice dans des films d’aventures en montagne, Leni Riefenstahl a su s’attirer les grâces des hauts dirigeants nazis (dont Joseph Goebbels et Albert Speer) pour mettre en scène, de façon inventive et spectaculaire, deux documentaires à gros budget : « Le triomphe de la volonté » (1934), sur le congrès du parti nazi et « Les dieux du stade » (1936), sur les jeux olympiques de Munich. Des années plus tard, la réalisatrice nie l’évidence, à savoir qu’il s’agissait là d’armes de propagande ultra puissantes pour galvaniser le peuple allemand et montrer au monde entier la force retrouvée d’un pays. Leni Riefenstahl parle d’un « travail », répète qu’elle a « obéi aux ordres », qu’elle était « inexpérimentée en politique » et que « l’art prenait une telle place dans (sa) vie qu’(elle) ne s’intéressait en rien au réel. »
Affirmations intenables, particulièrement quand l’artiste avoue sa fascination – qui fut celle de millions d’Allemands dans les années 1930 – pour Hitler. « La première fois que je l’ai vu, je tremblais de la tête aux pieds, j’étais en nage, sous l’emprise d’une force magnétique. » Devenant l’intime du dictateur, Leni Riefenstahl lui écrit en toute admiration : « Vous apportez de la joie aux autres mieux que quiconque. » Le documentaire d’Andres Veiel est d’une efficacité redoutable. Face à une menteuse professionnelle, le réalisateur puise dans les énormes archives qu’elle a elle-même constituées et précieusement conservées, battant en brèche un passé édulcoré ou réinventé. À la fin de la guerre, Leni Reifenstahl ne sera que vaguement inquiétée. Après une décennie où elle se mettra au vert dans son beau chalet, elle renouera avec le succès en photographiant la tribu nouba, au Soudan, exaltant les corps noirs et « bien dessinés » après avoir mis en valeur ceux obéissant aux canons aryens. Jamais elle ne perdra le soutien de certains Allemands, férocement antisémites et encore furieux, des décennies après, d’avoir perdu la guerre. Ces gens-là l’appellent régulièrement ; elle les enregistre systématiquement sur des cassettes. Cela donne des discussions hallucinantes, validant l’idée que Leni Riefenstahl serait une « héroïne maltraitée par les tribunaux et les médias ». L’ex-égérie nazie, vieille dame aussi aigrie que toujours bien pomponnée est morte en 2003, à l’âge de 101 ans.
« Leni Riefenstahl. La lumière et les ombres », actuellement au cinéma ABC.