Le 6 octobre dernier, dans l’écrin précieux de la chapelle de Carmélites, s’ouvrait la septième saison de Toulouse Guitare fondée en juillet 2017 par Thibaut Garcia et sa famille. Le groupe d’amoureux de l’instrument et de sa littérature qui organise cette saison a choisi d’ouvrir cette série de cinq concerts avec le grand guitariste français Gérard Abiton qui remporta notamment en 1981 le 37ème Concours International d’Exécution Musicale de Genève.
Ce premier concert n’a pas manqué de respecter la belle tradition établie dès la première saison et qui consiste à inviter un ou une jeune guitariste en cours d’études à ouvrir l’événement. Cette intervention qui offre aux jeunes musiciens la possibilité de se faire connaître d’un large public était ce soir-là celle de Rafaël Léger, étudiant à l’IsdaT, déjà largement apprécié dans une précédente saison. En effet, en 2022, Rafaël Léger avait introduit le récital de Gaëlle Solal et du haut de ses dix-huit ans avait déjà surpris par la maturité de son talent.
Deux ans plus tard, il offre au public une première partie originale et novatrice au cours de laquelle il démontre, de manière encore plus évidente, à quel point cette maturité le conduit à pratiquer un jeu profondément musical, au-delà de la perfection technique et de la seule virtuosité.
Du compositeur catalan Salvador Brotons (né à Barcelone en 1959), il joue d’abord Deux Suggestions. La modernité de l’écriture, l’alternance entre nostalgie et vivacité sont admirablement assumées par le jeune interprète. Finesse et raffinement caractérisent ensuite son approche de deux sonates (n° 23 et 24) du Portugais de la période baroque Carlos Seixas. Enfin, la vitalité de la Danse Rythmique de la grande Ida Presti est suivie d’une Fantaisie hongroise du romantique Johann Kaspar Mertz dont les accents magyars sont habilement soulignés par Rafaël Léger. On ne peut que promettre à ce jeune musicien un avenir prospère dans son domaine de prédilection.
Gérard Abiton, reconnu comme l’un des meilleurs guitaristes de sa génération, prend la suite de cette fin d’après-midi musicale. La plénitude de sa sonorité, le sens des nuances de son jeu, l’élégance de son style se manifestent tout au long de son récital. Il construit son programme, dans lequel la transcription constitue une composante importante de son grand talent, sous la forme de trois volets bien identifiés.
Le premier épisode est consacré à Johann Sebastian Bach. Il joue tout d’abord sa transcription pour guitare du Prélude BWV 940 et de la Fugue BWV 539/1001, initialement écrits pour clavier. On admire à la fois la grandeur instrumentale de la transcription, la belle mesure et la lisibilité des différentes voix de cette littérature complexe.
Autre défi que celui de la transcription de la Suite n° 6 pour violoncelle seul BWV 1012 du même Bach. Il s’agit là de la seule des six Suites du Cantor qui soit écrite pour un instrument particulier à cinq cordes. Tout au long des six mouvements qui la composent, le jeu de l‘interprète manifeste un équilibre et une transparence exemplaires. Sa transcription enrichit la polyphonie originale de l’œuvre.
Le deuxième volet du récital est cette fois directement écrit pour la guitare. Il est même dédié à son interprète, Gérard Abiton. Il s’agit d’un triptyque du Brésilien Sergio Assad intitulé Trois séjours à Paris et évoquant trois lieux emblématiques de la capitale française : Le Marais, L’île Saint-Louis et Saint-Germain des Prés. De la tendresse à l’animation, la couleur domine cette originale contribution.
Le dernier épisode de ce voyage musical marque un retour au style baroque avec trois des quelques 550 Sonates de Domenico Scarlatti. Les cordes pincées du clavecin trouvent leur parfait équivalent avec celles de la guitare de son transcripteur. Entre les joyeuses K. 545 et K. 113, s’insère la nostalgique K. 466. Encore une fois, l’alacrité du jeu de Gérard Abiton s’adapte parfaitement au propos du compositeur.
L’accueil chaleureux du public obtient du guitariste un bis qui signe son retour vers Bach, un Prélude initialement composé pour le luth. Instruments cousins. A cette occasion, l’artiste évoque avec émotion son bonheur de se retrouver à Toulouse après une éclipse de près de soixante ans…
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse