Le 24 septembre, au Théâtre du Capitole, Nabucco ouvre la saison 2024-25 de l’Opéra national du Capitole de Toulouse, dans une nouvelle production en collaboration avec l’Opéra de Lausanne. Au pupitre, Giacomo Sagripanti, Stefano Poda à la mise en scène, décors, costumes et lumières, comme à son habitude. Pour les trois rôles principaux, Nabucco, Zaccaria et Abigaille, deux distributions vous attendent. Dans la fosse, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole et sur le plateau les membres du Chœur de l’Opéra national du Capitole.
Il faut remonter à 1988 pour assister au précédent Nabucco à Toulouse donné alors à la Halle aux Grains. Dans notre salle bien-aimée, le Théâtre du Capitole, c’était par la troupe dite “des italiens“ en décembre 1961. Par contre, c’est devenu maintenant une des œuvres les plus populaires de Verdi, attirant régulièrement les foules, aussi bien dans les théâtres que dans les espaces de plein air. Cet incroyable succès n’est pas s’en rappeler celui de la création, le 9 mars 1842, à la Scala de Milan, qui imposa Verdi, alors âgé de 29 ans, comme le compositeur attendu par une Italie toute entière, encore en devenir, ne l’oublions pas. C’est seulement le début du Risorgimento. Soixante-quinze représentations eurent lieu dans l’année dans cette salle mythique de Lombardie ! C’est à Corfou en 1844 que Nabuchodonosor devint Nabucco, en principe reconnu comme son troisième opéra.
Secret de polichinelle, si l’on peut dire mais, ce spectacle ayant été déjà donné à Lausanne en juin 2024, il se trouve que, comme déjà ici au Théâtre du Capitole, pour Ariane et Barbe-bleue et Rusalka, Stefano Poda offre aux spectateurs un spectacle absolument époustouflant. Après, question musique et chœurs, nous sommes en toute confiance avec nos musiciens et nos choristes. Quant au plateau vocal, on peut dormir sur nos deux oreilles. Notre Directeur musical y veille ! Seul problème majeur en vue, dégoter encore quelques places sur les huit représentations annoncées. Il en faudrait…deux de plus !!
Notons l’irrésistible élan rythmique des premiers opéras de Giuseppe Verdi soit Oberto et Un Giorno de regno et qui se poursuit d’une éclatante manière avec Nabuchodonosor. Dans ce dernier, la nouveauté absolue réside dans l’originalité de la donne dramatique et éthique qui s’y joue (voir le synopsis). Se borner à observer la coupe traditionnelle des scènes, airs, cabalettes et duos reviendrait à ignorer l’énergie, proprement inouïe à l’époque, qui galvanise ces formes dites anciennes. C’est une véritable signature pour l’ouvrage qui va décider des triomphes en suivant et aider le compositeur à surmonter les traumatismes dus aux deuils de son épouse et de ses deux premiers enfants.
Question musique et chant, les influences de Donizetti, Bellini et Rossini sont toujours présentes mais la musique est ici, d’une variété et d’un impact prodigieux emportant tout. Verdi a choisi, a-t-on pu lire, une orchestration qualifiée de lourde se traduisant notamment par un usage intensif des cuivres et de la percussion. Il y a plutôt une volonté artistique délibérée de renoncer à une orchestration raffinée au profit d’une sonorité ample et compacte. Sans oublier les interventions chorales héroïques dont le nombre impressionne et donne à l’ouvrage une autre dimension. Se rajoute la technique du chœur à l’unisson que Verdi utilise avec prédilection même si cela ne constitue pas une nouveauté mais le procédé atteint ici une très grande qualité expressive. Il faudra cependant attendre la deuxième Scène de la dernière Partie pour juger du résultat de cette technique, souvent utilisée dans les six minutes du célébrissime Va pensiero devenu l’hymne non officiel de l’Italie, et qui sut encore déchaîner des démonstrations patriotiques fin des années 1940. On aura beau lire que Nabucco est quelque part maladroit, entier et mal dégrossi encore, mais au bilan, l’ouvrage se révèle simple, accessible et parlant vrai et dont le but est bien atteint, celui d’un retentissement éminemment populaire. Viva Verdi ! Forza Italia !
Anecdote : Le 27 février 1901 à Milan, jour des funérailles du compositeur, des centaines de milliers de personnes reprennent spontanément le chœur “Va pensiero“, éperonnées par un chef Arturo Toscanini à la tête de neuf cents musiciens !
Pour comprendre la portée politique du Va Pensiero, il faut rappeler le contexte dans lequel il s’inscrit. Le chœur des esclaves est un chant plein de tendresse, une plainte nostalgique entonnée par les Hébreux chassés de Jérusalem et emmenés en captivité par le roi babylonien Nabuchodonosor. Cet épisode biblique comporte donc en son essence une portée politique. En revanche, il faut se méfier des images d’Épinal qui entourent ce chœur. En s’appuyant sur les travaux d’un certain musicologue Roger Parker, on rappelle le flou qui accompagne la création de l’opéra. Même si l’œuvre fut un triomphe et lança la carrière de Verdi, aucune source précise ne nous dit que le chœur des esclaves fut bissé lors de sa création ! et que le public de La Scala en 1842 ait entendu le Va Pensiero comme une métaphore de leur époque à savoir l’occupation de l’Italie du Nord par l’Autriche. La première mouture de Nabuchodonosor subit maintes modifications, par exemple en fonction des capacités des chanteurs disponibles mais encore des salles dans lesquelles l’ouvrage pouvait être programmé.
Le librettiste Temistocle Solera le sera pour cinq ouvrages correspondant aux besoins que Giuseppe Verdi manifestait à ce moment-là. On lui reconnaît un goût certain pour l’action et le penchant pour les “coups de théâtre“ de même que pour la ferveur patriotique qui, à cette époque, prenait pour le futur peuple italien une résonance toute particulière, par exemple, la lutte des Hébreux contre les Assyriens, et à venir, la lutte des Croisés contre les musulmans dans I Lombardi, etc…Mais Solera connaît bien sa Bible et, pour faire court, trace un livret permettant au musicien d’écrire une partition truffée d’idées simples et efficaces, d’une audace et d’une originalité sans précédent. Après, on s’abstiendra de s’appuyer sur le livret pour la véracité des éléments du quotidien du roi Nabuchodonosor II. Mais, peu importe. Revenons à la musique. On pourra en effet le remarquer, dès la spectaculaire ouverture ou Sinfonia, une sorte de pot-pourri, comme pour ambiancer !! (on ose, le Petit Larousse nous le permet !). Écrite en dernier, début 1842, l’opéra débute par une scène d’environ sept minutes dans laquelle on peut repérer plusieurs mélodies – la première aux trombones – qui viendront tout au long de l’ouvrage, lui-même terminé dès l’automne 1841. Certains repèreront les accords du Va’ pensiero.
Nabucco est divisé en quatre parties, et non actes dont chacune porte un titre : la première s’intitule “Jérusalem“, la seconde “l’Impie“, la troisième “la Prophétie“ et la quatrième “l’Idole brisée“. Par ailleurs, chaque partie porte aussi un sous-titre sous forme de citation ou de paraphrase d’une citation biblique, tirée du livre de Jérémie. L’opéra se passe à Jérusalem et à Babylone en 586 avant Jésus-Christ. Les citations sont les suivantes, dans l’ordre :
« Voici ce que dit le Seigneur : Voyez, je livre cette ville entre les mains du roi de Babylone et il la consumera par le feu. » Jérémie XXXII
« Voyez le tourbillon du Seigneur, sa fureur impétueuse, sa tempête toute prête à fondre va se reposer sur la tête des impies. » XXX
« Les dragons y viendront demeurer avec les faunes, elle servira de retraite aux autruches. » LI
« Baal est confondu ; ses idoles sont en morceaux. » XLVIII
Un autre article – annonce viendra courant septembre.