Quand j’étais enfant, à la campagne la nuit de la Saint Jean du 23 au 24 juin, traditionnellement pour fêter l’été partout s’allumaient de grands feux, on chantait en cœur Voici la Saint Jean, une belle chanson bien rythmée reprise en 1976 par Malicorne.
Les jeunes gens dansaient autour du feu et les plus audacieux des garçons sautaient par-dessus pour épater les filles; au risque de se brûler plus ou moins gravement.
Et cet été 2024, j’ai l’impression d’être tout près d’un brasier, pas seulement à cause de la canicule annoncée, et je me raccroche à la Culture que nous aimons. Comme l’ont soutenu Eric Ruf, Olivier Py etc… dans leur Tribune du Monde il y a quelques jours: contre les boute-feux de tout poil, il faut revenir à la devise de Jean Vilar (que d’aucuns cherchent à récupérer sans vergogne), la Culture, ce n’est pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais au contraire, ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné; Vilar qui affirmait que théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin, un service public, tout comme l’eau, l’électricité, le gaz. J’étendrai aujourd’hui cette citation à la Culture en général (ce n’est pas par hasard que nous écrivons sur Culture 31 !). Comme l’a répété Ariane Mnouchkine, « plutôt que d’incriminer ceux qui sont prêts à tenter l’extrême par désillusions répétées, les acteurs culturels doivent s’interroger sur leurs manques, et redresser la barre pour ceux qui ont tendance à s’éloigner de la Démocratie. »
Et, même si je suis avant avant tout un hédoniste, amoureux de la beauté sous toutes ses formes, je me rappelle avoir lu avec émotion à 18 ans Albert Camus, lors de son discours de réception du Prix Nobel de littérature en 1957, affirmant haut et fort: « Tout ce qui dégrade la Culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude. » En ce moment où les dérives politiques oblitèrent l’essentiel, il est bon de ne pas l’oublier. Et de se réjouir des belles perspectives culturelles de notre région.
TOUTES LES COULEURS D’ODYSSUD 2024-2025
A l’Aria de Cornebarrieu, l’une des plus belles salles de spectacle de l’agglomération toulousaine, nous sommes heureux d’être encore là pour l’annonce de la programmation d’Odyssud… hors les murs. Mais nous pouvons espérer retrouver le grand théâtre de la Scène des Possibles pour la saison 2026-2027: Odyssud rouvrira avec une nouvelle cage de scène indispensable, toujours avec une programmation de haut niveau; nous n’en doutons pas.
Mieux vaudra tard que jamais.
Le public a été au rendez-vous de la saison 2023-24 programmée par cette structure culturelle irremplaçable, et nul doute que ce sera encore plus le cas pour celle de 2024-2025.
Développer une offre culturelle de qualité a toujours été une priorité de la scène municipale conventionnée d’Intérêt national « Art, Enfance, Jeunesse » de Blagnac (soutenue par l’Etat, la Région, le Département et un réseau de partenaires), mais aujourd’hui elle prend tout son sens, en particulier en direction des jeunes générations.
En n’oubliant jamais qu’un monde sans culture est promis à la déliquescence, en n’acceptant jamais l’exclusion ni le repli sur soi, car comme l’a si bien dit le directeur d’Odyssud Spectacles, Henri Dalem: « le spectacle vivant se nourrit d’ailleurs et d’ouvertures. » C’est pour cela, qu’en plus de la programmation proprement dite, Odyssud privilégie l’action culturelle en direction des publics et l’accompagnement des artistes régionaux.
Haut niveau de qualité artistique et diversité culturelle sont les maîtres-mots de la saison « hors les murs » 24/25 avec plus de 50 spectacles différents dans une dizaine de salles partenaires à Blagnac, Toulouse, Cornebarrieu et Tournefeuille.
Parmi ceux-ci, j’ai déjà des coups de cœur :
CARIBE Ana Carla Maza Samedi 19 octobre 20h30 (Aria)
Une déclaration d’amour enfiévrée à la musique latino-américaine.
Le tempo vivant de la samba, les accents langoureux du tango, le rythme irrésistible de la rumba, la douce sensualité de la bossa nova figurent parmi les références naturelles d’Ana Carla Maza, violoncelliste, chanteuse et compositrice originaire de La Havane. Un répertoire libre et solaire que des années d’apprentissage de la musique classique, notamment au Conservatoire de Paris, patinent d’une rigueur et d’une virtuosité qui permettent toutes les incartades. Ana Carla Maza, après les succès de ses albums solos La Flor et Bahia, déboule sur scène en trio avec les chansons de son troisième album, Caribe, et une énergie contagieuse. Un mélange explosif de jazz, de rythmes latins et de musique classique prêt à tout emporter sur son passage.
BALLET PRELJOCAL* – Samedi 30 novembre 20h30 (L’Escale)
Preljocaj nous livre sa dernière création, Torpeur, encadrée de deux pièces maîtresses de son si prolifique répertoire.
L’occasion nous est donnée de parcourir plus de trente ans du répertoire de Preljocaj en une seule représentation ! Annonciation, pièce tout à la fois mystique et charnelle, donne corps et mouvement à l’annonce faite à Marie de sa prochaine maternité par l’archange Gabriel. Un troublant duo pour danseuses devenu emblématique. Avec Torpeur, dernière création en date, nous retrouvons douze danseurs livrés à un « curieux sentiment d’étrangeté » jusqu’à un évanouissement harmonieux, comme un moment de grâce. Sur la musique de Stravinsky, Noces fait référence aux mariages forcés dans les Balkans, célébration barbare dépourvue de toute sensualité. Une pièce majeure de Preljocaj.
SONO IO – Mercredi 12 mars jeudi 13 et vendredi 14 mars 20h30 (Aria)
Circus Ronaldo
Dialogue père-fils drôle et touchant entre deux clowns fous de musique et de jeu.
La famille Ronaldo est presque une famille comme les autres. Comme tous les pères, Danny radote un peu. Comme tous les fils, Pepijn essaie de conjuguer ce qu’on lui a transmis avec ses aspirations profondes. La différence, c’est qu’ils sont clowns et qu’ils disposent de la piste pour user de ces malentendus comme carburant d’un spectacle de cirque. Les sixième et septième générations de Ronaldo, compagnie flamande de renommée internationale, nous offrent ce duo père-fils drôle, tendre et cathartique. Un dialogue entre générations qui touche au cœur, même si l’on n’est pas clown. Un spectacle lancé dans une tournée triomphale à travers toute l’Europe.
NOUS Y VOILÀ – Lundi 7 et mardi 8 avril 20h (Théâtre ses Mazades)
Philippe Torreton | Richard Kolinka batterie | Aristide Rosier musicien multi-instrumentiste
On l’a vu ces dernières années à Odyssud jouant Molière, Tchekhov, Rostand… Le grand Philippe Torreton revient aux côtés d’Aristide Rosier, et de Richard Kolinka, batteur emblématique du groupe Téléphone. Le duo était déjà à ses côtés en 2018 pour un spectacle autour de l’œuvre d’Allain Leprest. Pour nous parler de notre rapport à la nature, ils ont choisi de mêler rock, poésie et sagesse millénaire, et de convoquer ensemble le chef Sitting Bull et Baudelaire autour d’un riff de batterie. Fraternité et joie communicative sont au cœur de ce spectacle inclassable et percutant, un cri d’humanité au bord de la scène et au pied du mur !
Sans oublier à la Salle Nougaro :
KAZ HAWKINS – Mercredi 22 janvier et jeudi 23 janvier 20h30
Laissez-vous emporter par le phénomène Kaz Hawkins, la plus américaine des divas irlandaises, complétement déjantée, mais avec une voix à faire pâlir tous les produits manufacturés de la téléréalité. www.kazhawkins.com
Quand on découvre la voix de Kaz Hawkins, on est tout de suite emporté sur les rives du Mississippi ou dans les rues de Memphis en compagnie des grandes chanteuses de la soul et du blues. Elle est pourtant née à Belfast. Elle a trouvé, au plus près de ces musiques afro-américaines qui lui ouvrent des bras réconfortants, le moyen de s’évader d’un quotidien marqué par la guerre civile et par la violence. Il faut dire que sa voix et son tempérament sont taillés pour ces musiques jalonnées par des chanteuses au groove inégalable, qu’elle parvient à concurrencer. Franck Le Masle, au piano, enveloppe cette puissance vocale d’une grande délicatesse, soulignant des cicatrices et des fêlures qui teintent de noir sa voix de feu. Avec cette voix chaude et sensuelle, on se sent bien, we are Feeling Good.
SALLE NOUGARO
Toujours aussi éclectique, avec une prédilection cette saison pour les artistes « folks »,
la Salle Nougaro accueillera aussi:
la violoncelliste Dom La Nena le jeudi 17 octobre 2024 à 20h30, un bel oiseau sauvage,
les suisses du groupe Black Sea Dahu le lundi 25 novembre 2024 à 20h30,
la chanteuse grecque Dafné Kritheras le mercredi 5 février 2025 à 20h30,
Ballaké Sissoko & Piers Faccini que l’on ne présente plus le mardi 4 mars 2025 à 20h30.
etc. etc.
De belles soirées musicales en perspective pour nous réchauffer le cœur.
NÉE DE LA PLUIE ET DE LA TERRE
Les Editions Bruno Doucey dont on apprécie l’excellence, après Le cri des femmes afghanes, anthologie de Leili Anvar, viennent de nous proposer un beau recueil de poésies de l’amérindienne Rita Mestkosho, avec des photographies de Patricia Lefebre et une préface de M.G. Le Clézio. La poésie simple, authentique et chamanique d’une femme qui s’adresse aux forêts, aux lacs, aux rivières, à l’ours, au saumon, au vent ou aux nuages, comme à la grand-mère qui lui a transmis l’amour de la vie, « pleine de cette puissance féminine qui imprègne les peuples anciens. Quelque chose de calme et d’incorruptible qui s’ouvre sur l’avenir. »
Envers et contre tout.
Rita Mestkosho au Festival de Medellin
Militante non-violente pour cause de l’environnement, elle fait de nombreuses références à la liberté dans sa poésie, illustrant le fait que les communautés innues sont souvent négligées et non reconnues, au Canada, comme celles des premières nations dans les deux Amériques. Elle est l’une des premières autrices autochtones à publier au Québec !
« Mon cœur est fait de branches de sapin
Entremêlées à toutes les saisons du monde
Je dors pour mieux tapisser tes rêves
Et celui du chasseur en quête d’une terre
Où il pourra alimenter son envie d’être libre
De marcher en admirant les courbes des rivières
De nourrir sa faim et d’assouvir sa soif. »
https://www.editions-brunodoucey.com/
LITTLE BIRD
En correspondance, sur arte.tv, « Little Bird », une remarquable série signée Jennifer Podemski et Hannah Moscovitch sur l’une des pages les plus sombres de l’histoire canadienne. Six épisodes de 50 minutes pour raconter la rafle des années 1960 par laquelle le gouvernement canadien de l’époque a arraché à leurs familles plus de 20 000 enfants autochtones! L’idée étant de les placer dans des pensionnats religieux afin de les acculturer de force puis de les faire adopter par des couples de personnes « blanches » bien sous tous rapports; avec la complicité de l’église catholique (encore une fois), des services sociaux et de la fameuse Police montée, dont l’image d’Épinal sort bien ternie de cette abomination.
A travers le destin de trois enfants et tous les traumatismes que ces arrachements ont provoqués, c’est une page noire et sordide de l’histoire du Canada, mais aussi des USA, de l’Australie ou de la Suède, de la Norvège et de la Finlande, qui est aussi narrée ici. Heureusement l’attachant personnage central, une enfant traumatisée devenue une femme accomplie, brillante avocate, bientôt mariée, qui part à la recherche de ses racines autochtones, éclaire cette série porteuse d »espoirs: comme l’affirmaient les premiers Résistants en France, « si le meilleur n’est jamais assuré, le pire n’est jamais inéluctable. »
Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, nous venons de commémorer le 80° anniversaire de la Libération. Alors qu’il est de plus en plus battu en brèche, et même honni par les nouveaux populistes, il serait bon de ne pas oublier les Jours heureux, le programme du Conseil national de la Résistance: aux côtés de la Santé et de la protection sociale pour tous, ses rédacteurs n’avaient pas oublié la Culture car « elle est le domaine de la transmission des valeurs. Dans sa lutte contre les puissances de l’instinct primaire, la Culture n’est pas l’accumulation des valeurs du passé, elle en est l’héritage conquis à transmettre encore et toujours. »
Je vous souhaite un bon été au frais si possible, car l’automne sera chaud, dans une arène politique déchainée, mais surtout sur la Scène des Possibles de toutes les couleurs.
En attendant, me reviennent les poèmes sur l’Eté appris par cœur à l’école primaire avant de partir en vacances, dont l’inoubliable Sensation d’Arthur Rimbaud:
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.