Le concert de l’Orchestre national du Capitole du 2 décembre dernier a marqué une étape supplémentaire vers le renforcement du lien qui s’est déjà tissé entre les musiciens toulousains et leur nouveau directeur musical Tarmo Peltokoski. Avec la participation du grand violoniste Renaud Capuçon, la soirée a célébré le point de départ d’une aventure musicale qui promet de beaux développements artistiques.
Jean-Luc Moudenc, le Maire de Toulouse, Président de Toulouse Métropole, a tenu à introduire cette soirée en rappelant les circonstances de la nomination du jeune chef finlandais. Il a lui-même évoqué le coup de foudre musical qui s’est produit entre Tarmo Peltokoski et l’Orchestre à la suite de leur premier concert commun au cours du festival Maurice Ravel de Saint-Jean-de-Luz, en 2022.
Ce concert du 2 décembre vient confirmer et même renforcer le succès de cette rencontre. A quoi tient un tel succès ? Probablement à la personnalité de ce chef et à son charisme. Mais surtout à l’efficacité de sa communication musicale avec les instrumentistes. Une efficacité qui lui permet d’obtenir de l’orchestre la richesse des nuances qu’il souhaite. Sa maîtrise ainsi que la maturité de ses choix musicaux sont ici des évidences. En outre, sa gestique sobre et lisible s’accompagne parfois de fulgurances presque chorégraphiques. Mais ce qui frappe avant tout dans sa direction, c’est cet incroyable équilibre entre précision et souplesse. La précision se manifeste en permanence grâce à sa gestique. La souplesse lui permet des choix de phrasés qui construisent des interprétations élaborées et convaincantes. En outre, saluons le parfait équilibre sonore qu’il obtient de tous les pupitres, cordes, vents, percussions, chacun dans son rôle. Enfin le soin des détails s’intègre parfaitement dans la vision globale de chaque œuvre.
La partition qui ouvre cette soirée mémorable bénéficie en outre du talent au large spectre de Renaud Capuçon. Ce soir-là, le grand violoniste se lance dans le défi que constitue l’exécution de l’unique Concerto pour violon d’Arnold Schönberg. Considéré à juste titre comme le plus difficile du répertoire, il est destiné, d’après Schönberg lui-même, à une « nouvelle race de violonistes à six doigts ! » La partie soliste doit affronter de très larges intervalles, de vastes accords en doubles cordes, parfois même en sons harmoniques, et autres pizzicati de la main gauche ! Renaud Capuçon franchit ces multiples obstacles techniques sans en négliger le contenu purement musical. Si l’œuvre applique la technique d’écriture dodécaphonique, elle n’en réintègre pas moins des éléments de tonalité. Le climat fiévreux et dramatique du premier mouvement résulte de ces échanges constants, du dialogue qui s’établit entre le soliste et le tutti orchestral, lui-même très fragmenté. La cadence virtuose qui le conclut est admirablement menée par le violoniste. La mélodie de l’Andante grazioso qui suit évoque un épisode pastoral. Dans l’Allegro final, l’animation culmine dans une redoutable cadence accompagnée. La structure cyclique ramène quelques motifs des mouvements précédents avant une conclusion particulièrement énergique. Soulignons encore la précision avec laquelle le chef organise les interventions des divers pupitres de l’orchestre.
Longuement acclamé, Renaud Capuçon offre un bis original et rare, la Daphne-Etüde en sol majeur, de Richard Strauss, d’après un motif de son opéra Daphne (1945). Cette belle pièce évocatrice anticipe la suite du programme.
C’est en effet avec l’un des plus célèbres poèmes symphoniques de ce compositeur que se poursuit cette soirée. Composé par Richard Strauss entre février et août 1896, Also sprach Zarathustra, soit en français Ainsi parlait (ou parla) Zarathoustra, doit certes sa large diffusion au cinéma. Cette œuvre d’une orchestration rutilante est néanmoins librement inspirée du poème philosophique éponyme de Friedrich Nietzsche. Si la partition se subdivise en huit parties enchaînées aux titres nietzschéens, parfois sibyllins, le substrat philosophique qu’elle prétend illustrer n’est qu’un prétexte à stimuler la somptuosité du tissu orchestral.
Les choix de tempi, les combinaisons de sonorités, les progressions dynamiques impulsés par le chef trouvent en chaque pupitre de l’orchestre les éléments d’une exécution à la fois analytique et synthétique. L’introduction mythique, comme un immense crescendo soutenu par les accords inquiétants de l’orgue, donne des frissons à l’auditeur. Du murmure aux explosions habilement préparées, la progression de l’œuvre, ainsi dirigée et jouée, conduit d’un épisode mystérieux à la démesure d’une valse vertigineuse. Jusqu’aux derniers accords qui se fondent dans le silence des sphères, cette exécution maintient une tension implacable. Un grand bravo aux musiciens pour la perfection des différents solos : de la trompette au hautbois, de la flûte au cor, de la clarinette au basson…
L’ovation est à la mesure de la réussite musicale. Mais le concert se poursuit et s’achève, de manière particulièrement originale, par… une ouverture, celle des Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Richard Wagner. La succession des thèmes, ou plutôt des leitmotive, de l’ouvrage s’opère avec un naturel particulièrement musical. La solennité pompeuse de la marche des Maîtres est suivie de l’agitation ordonnée des péripéties amoureuses de l’intrigue. La coda magnifie la richesse d’une orchestration rutilante.
Signalons enfin que toute la seconde partie de ce concert a été dirigée sans partition par Tarmo Peltokoski, chaleureusement acclamé par le public et par ses musiciens. Un jalon supplémentaire est franchi.
Le mélomanes qui n’ont pas pu assister à ce concert auront la possibilité de retrouver Tarmo Peltokoski et l’Orchestre national du Capitole le vendredi 3 mai dans un programme Richard Strauss et Anton Bruckner.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole