Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Mort d’un cycliste de Juan Antonio Bardem
Sur une route déserte dans l’Espagne des années 1950, la voiture d’un couple adultérin renverse un cycliste. Le passager, Juan, constate que l’homme est encore en vie, mais la conductrice, María-José, le convainc de l’abandonner. Alors que le lendemain la presse annonce le décès du cycliste (un ouvrier), Juan (professeur d’université en poste grâce à son influent beau-frère) et María-José (épouse d’un riche industriel) vont vivre dans l’angoisse d’être découverts. D’autant que l’une de leurs relations (un critique d’art en quête d’argent et jalousant les riches) semble être au courant de leur relation, voire de leur méfait, et menace de les faire chanter…
Débutant comme un film noir, Mort d’un cycliste, sorti en 1955, bascule rapidement vers la peinture de la société franquiste de son temps en filmant l’opulence d’une bourgeoisie profitant de la dictature. Bardem montre l’amoralité, la bonne conscience, le cynisme, l’hypocrisie, l’insouciance de cette caste, attachée à ses privilèges, tandis que d’autres vivent dans la misère, ainsi que le révèle la visite de Juan à la veuve du cycliste au cœur de quartiers en ruines et de taudis. D’abord décidé à protéger le double secret le liant à María-José, Juan sera peu à peu gagné par le doute, la culpabilité, le remord, puis le désir de renouer avec la vérité en se livrant à la police. A l’origine de cette métamorphose : le sort d’une étudiante que le professeur a injustement recalée à un examen, provoquant de la sorte la mobilisation d’étudiants en colère. A travers ce mouvement, le professeur redécouvre des valeurs – le courage, la générosité, la justice – auxquelles il avait tourné le dos.
Beauté formelle
Après avoir débuté auprès de Luis García Berlanga (l’autre grand nom du cinéma espagnol de cette époque avec lequel il coréalisera un court métrage, un long métrage puis signera le scénario de Bienvenue Monsieur Marshall), Juan Antonio Bardem prit un tournant plus sombre et radical dont Mort d’un cycliste est le reflet. Mais au-delà de sa portée socio-politique, le film vaut pour sa beauté formelle (éblouissante utilisation de la profondeur de champ et des cadrages), son scénario implacable, le jeu des acteurs, le rythme du récit dopé par un montage et des raccords hitchcockiens.
Si l’influence du néoréalisme italien et du film noir américain (certains évoquèrent aussi Chronique d’un amour d’Antonioni en raison notamment de la présence de Lucia Bosé) est indéniable, Mort d’un cycliste a son propre style jusque dans l’ironie tragique de la scène finale.
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