Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique, un livre injustement méconnu ou simplement à découvrir.
Mes petits papiers d’Antoine Blondin
Une convention consiste à regretter qu’Antoine Blondin ait si peu écrit. Seulement cinq romans entre 1949 et 1970, année où il sortit Monsieur Jadis. Cinq romans, ce n’est effectivement pas beaucoup, mais combien d’écrivains publient plus de trois ou quatre œuvres réellement importantes ? L’exercice est impitoyable. Par ailleurs, à la lecture de Monsieur Jadis, chef-d’œuvre de limpidité et de poésie sans effets, on se rend compte que Blondin avait tout dit, tout soldé. À quoi bon ajouter une poignée de romans de convenance ? Dès lors, quelques livres suivront comme le recueil de nouvelles Quat’saisons ou Certificats d’études, série de portraits consacrés à ses maîtres en littérature. Depuis sa disparition en 1991, deux copieux recueils de chroniques, La semaine buissonnière et Tours de France, rassemblèrent ses articles parus dans L’Équipe, recoupant ou complétant L’Ironie du sport publié en 1988 et Sur le Tour de France en 1977. Alain Cresciucci, auteur d’une remarquable biographie de Blondin, établit en 2006 l’édition d’un nouveau volume d’écrits journalistiques, Mes petits papiers, qui prolonge Ma vie entre les lignes sorti en 1982. Même si l’auteur de L’Europe buissonnière recyclait parfois sa prose au fil des supports ou des époques, on constate que l’écrivain fut finalement assez prolixe. De toute façon, cette approche quantitative ne satisfera que les statisticiens. Les autres se régaleront de lire et relire ce styliste de grande classe qui nous a laissé un ton, un univers, une musique inimitables.
Papiers d’identité
Dans Mes petits papiers, l’éventail des intérêts et des inspirations de Blondin se déploie : de la politique à la littérature en passant par le sport ou l’air du temps. Au-delà du plaisir né de la variété des sujets abordés, on est frappé par la façon dont, au fil de ces textes qui vont de l’immédiate après-guerre à 1991, l’écrivain dévoile non pas sa « méthode » mais du moins les règles de son art : « Il faut écrire dans les marges. C’est la condition d’une transfiguration, qui est valable pour les paysages, les personnages, les situations. » Celui qui vivait son passé au présent livre également une analyse d’une lucidité impressionnante sur ses romans et leurs paysages intérieurs : « L’ivresse burlesque, sensuelle, communicative, des époques légendaires et débridées marquait mon premier roman, L’Europe buissonnière. Le désarroi nostalgique devant l’ordre rétabli de la vie quotidienne, que les improvisations de la fantaisie n’arrivent pas à conjurer, imprégnait le second, Les Enfants du bon Dieu. La solitude et le désenchantement auxquels aboutit une tentative d’évasion hors du destin tracé sanctionnent le troisième, L’Humeur vagabonde. Un singe en hiver, qui est mon quatrième, me semble rendre, cette fois, un son totalement désemparé. » Entre Un singe en hiver et Monsieur Jadis, onze années s’écoulèrent, une période tragiquement marquée par la disparition de son frère d’âme Nimier : « Il n’était plus question d’écrire, chaque mort remettant tout en cause, de mes dispositions et de mon univers. Du moins, à la question infamante : « Pourquoi écrivez-vous ? » s’en était-il substitué une autre, plus onctueuse : « Pourquoi n’écrivez-vous plus ? » Et, de même que Paul Valéry répondait à la première : « Par faiblesse », nous aurions pu et voulu répondre à la seconde : « Par force ». À un moment de ma vie où je ne pouvais échapper à cette contrainte par esprit – comme il y a des contraintes par corps – qu’exercent sur nous les amitiés et les amours disparues, mon cinquième livre Monsieur Jadis est né d’un vœu de fidélité à leur mémoire et de piété sans mélancolie. » De sa fidélité aux amitiés et aux amours disparues, Blondin nous a légué des livres qui disent avec éclat la beauté de ce qui a été.
Mes petits papiers • La Table Ronde