Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Tu ne tueras point de Krzysztof Kieślowski
L’irruption de Krzysztof Kieślowski sur la scène cinématographique internationale à la fin des années 1980 fut aussi singulière que spectaculaire. C’est en effet par la diffusion du Décalogue – une série de dix téléfilms d’environ une heure produits pour la télévision polonaise et coécrite avec Krzysztof Piesiewicz – que le talent du jeune cinéaste bénéficia d’une large reconnaissance. Outre la diffusion en salles des épisodes du Décalogue, censés illustrer les dix commandements, deux d’entre eux, Tu ne tueras point et Brève histoire d’amour, furent également tournés dans une version long-métrage. Leur succès public et critique permit de découvrir les films antérieurs de Kieślowski et de permettre à celui-ci de poursuivre une œuvre (La Double Vie de Véronique, la trilogie Trois Couleurs) couronnée de prix, mais hélas interrompue en 1996 par la disparition prématurée de l’artiste à l’âge de cinquante-quatre ans.
Venu du documentaire et en prise directe avec les réalités de la Pologne communiste de son temps, Kieślowski se détachera au fil du temps de ces inspirations pour aborder des thèmes plus intemporels, métaphysiques, existentiels et par là même universels autour du hasard, du destin, de la main de Dieu ou du Diable. Ainsi, Tu ne tueras point met en scène trois personnages principaux appelés à se rencontrer dans Varsovie : un jeune homme désœuvré tenté par le Mal, un chauffeur de taxi bête et méchant, un apprenti-avocat idéaliste. Le premier va tuer le deuxième et sera défendu par le troisième.
Violence mimétique
Plongeant d’emblée le spectateur dans un décor urbain où la désolation le dispute à la laideur sur fond de violences du quotidien, le tout dans une photographie sépia aux teintes verdâtres et jaunes, Tu ne tueras point ne laisse guère d’espérance quant à l’issue de son propos. Le antihéros, manière de Meursault de Camus aux inflexions dostoïevskiennes, se livre à un crime gratuit, particulièrement horrible. Il sera à son tour tué par l’Etat et la justice au gré d’une pendaison dont le rituel mécanisé, administré, rationnel, en décuple la barbarie.
Réquisitoire contre la peine de mort, Tu ne tueras point ne prend pas le prétexte de la condamnation d’un innocent ou d’un être auquel on pourrait accorder des circonstances atténuantes (le drame l’ayant frappé qu’il confie à son avocat ne suffit à expliquer sa dérive meurtrière). Kieślowski filme la violence – celle d’un individu, celle d’une institution – et nous laisse hagard face à ce mécanisme mimétique. Mais Tu ne tueras point ne possèderait pas une telle force sans son extraordinaire puissance cinématographique qui, de la direction d’acteurs au cadrage, du scénario à la photographie, imprègne chaque image.
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