Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Main basse sur la ville de Francesco Rosi
Rosi fut le plus pur représentant d’un certain cinéma politique sondant les reins de l’Italie de l’après Seconde Guerre. Considéré comme l’inventeur du « film-dossier », le cinéaste explora – de Salvatore Guiliano à Cadavres exquis en passant par L’Affaire Mattei (Palme d’Or 1971) ou Lucky Luciano – les rouages du banditisme, de la mafia, de l’« Etat profond » et de leurs collusions politico-économiques. Main basse sur la ville, Lion d’Or à Venise en 1963, illustre à la perfection la méthode Rosi : refus de la psychologie et du spectaculaire gratuit, dimension quasi documentaire et proche du reportage, exposition des superstructures façonnant la société.
La scène d’ouverture est trompeuse avec ses vues aériennes de Naples (la ville natale de Rosi) sur fond de trépidante musique paraissant annoncer un film noir hollywoodien. Car le sujet de Main basse sur la ville sera plus prosaïque et réaliste qu’une énième histoire de gangsters. A travers le personnage de Nottola, entrepreneur immobilier et conseiller municipal interprété par Rod Steiger, Rosi et son coscénariste Raffaele La Capria (grand écrivain, également natif de Naples) vont dénoncer les mécanismes et les alliances mis en place par des spéculateurs et des élus locaux avec la bénédiction (ainsi que les fonds) de l’Etat. L’effondrement d’un immeuble dans un quartier populaire en rénovation met en lumière les agissements de Nottola et une commission d’enquête voit le jour au sein du conseil municipal malgré les réticences de nombre d’élus.
Corruption sur la ville
Le film offre une vision irremplaçable du développement de l’Italie en général – et de Naples (durement touchée par les bombardements pendant la guerre) en particulier – au début des années 1960. Des terrains agricoles vont voir éclore des cités, des sites du centre historique sont sacrifiés au nom de la modernité. Là comme ailleurs, et sans doute beaucoup plus qu’ailleurs, la corruption est de mise tandis que la démocratie s’accommode d’arrangements cyniques. Conciliabules, négociations, chantages, menaces, trahisons ponctuent le récit. Un courageux et honnête élu communiste tente de dévoiler la vérité, mais le système sortira vainqueur d’une pseudo opérations mains propres.
Le noir et blanc austère ainsi que la multiplication des angles de vues comme des cadrages renforcent le sentiment d’enfermement. La parole est biaisée, falsifiée. Le désenchantement et la fatalité pointent le bout de leur nez. Ce pessimisme apporte à ce qui n’aurait pu être qu’un banal film engagé un supplément d’âme. Sans surprise, hélas, les thèmes soulevés par Main basse sur la ville sont toujours d’actualité et pas seulement en Italie…
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