L’Île rouge, un film de Robin Campillo
Par principe, il ne faut pas rater un film de Robin Campillo. Tout d’abord parce qu’il n’en fait pas beaucoup (quatre en 20 ans !), ensuite et surtout parce que, contrairement à beaucoup d’autres, il a toujours quelque chose d’intéressant à raconter. Et il le fait avec une justesse de ton qui chaque fois vous transperce le cœur.
Souvenons-nous de Revenants (2004), Eastern Boys (2013), du couvert de récompenses 120 battements par minute (2013). Son dernier opus est de la même eau. Cette fois, Robin Campillo nous parle, au travers d’une semi-fiction, de son enfance, alors que Robert, son père, est officier sur une base française à Madagascar au début des années 70. L’île se bat pour son indépendance. Les militaires le savent, ils vont devoir bientôt plier bagage. L’atmosphère dans le camp devient incertaine. Les familles continuent de se voir, rire, danser, aller à la plage, mais le cœur n’y est plus. La fin de partie est proche. Tout cela nous est montré au travers d’un regard, celui de Thomas, alias Robin jeune (9 ans). Il n’en perd pas une, planqué dans une caisse en bois aux planches ajourées, avec sa copine malgache. Il voit bien se déliter cet univers colonial dont il ne comprend pas encore les tenants et les aboutissants. Il en est juste le témoin. Un témoin privilégié quant aux tensions intrafamiliales. Robert, un brin bas du plafond, macho invétéré, n’hésite pas à offrir à ses trois garçons des petits crocodiles, à employer devant la fratrie des mots d’une extrême violence envers Colette, leur mère, jaloux comme un tigre il manque de peu faire déraper une fête. En fait, son monde s’écroule. Il est perdu tout comme ce nouveau militaire dont la femme aura tôt fait de retourner en Métropole et qui n’hésitera pas longtemps à s’éprendre d’une jeune autochtone. L’aumônier du camp tentera en vain d’exorciser son amour pour la jeune malgache… Porté par des acteurs d’une formidable intensité émotionnelle, dont le petit Charlie Vauselle, Thomas ébouriffant de vérité, Nadia Tereszkiewicz, Colette magistrale de résilience, et, surtout, l’acteur espagnol Quim Gutiérrez, Robert terrifiant de patriarcat toxique et en même temps pathétique de douleurs non assumées. Devant une caméra souveraine, c’est tout un pan de l’Histoire de France qui s’efface devant nous et qui tombe dans le seul souvenir et la nostalgie de ses acteurs. Somptueux !