Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un à redécouvrir
Lire un thriller de Jean-Christophe Grangé, c’est céder au double plaisir des retrouvailles et de la nouveauté. Côté permanences, on y croise un héros (ou une héroïne) aux prises avec ses démons intérieurs et devant démêler une sombre histoire de tueur en série, une intrigue plantant son décor dans l’hexagone tout en s’échappant vers des horizons lointains, des grands récits (mythologiques, bibliques ou historiques) venant hanter les temps présents.
Kaïken, sorti en 2012, se nourrit d’une certaine idée du Japon à travers son héros, un flic vouant un culte au pays du Soleil levant dans le sillage de quelques-uns de ses grands artistes (Mishima, Kurosawa…), des samouraïs et de leur code d’honneur… Mariée à la belle Naoko, dont il est en instance de divorce et avec laquelle il a eu deux garçons, le commandant Olivier Passan est reconnaissant au Japon d’avoir « remis de l’ordre dans son existence ». Né en 1968 à Katmandou de parents hippies, il perdit son père un an plus tard tandis que sa mère disparût sans laisser d’adresse et en l’abandonnant à l’Ambassade de France au Népal. Pupille de la Nation, il trempa dans des combines de petit voyou avant d’être rattrapé par sa vocation : devenir Officier de police judiciaire et servir le pays qui l’avait « sauvé, nourri, élevé ».
Fatigue écrasante et déliquescence
Passan est à la poursuite d’un tueur baptisé « l’Accoucheur » qui assassine et éventre des femmes enceinte pour brûler leur fœtus. Les crimes ont la particularité d’être perpétrés dans les banlieues en déshérence du 93 et un soir de juin aussi pluvieux que poisseux il surprend sur les lieux d’un nouveau crime son suspect numéro 1. Roman sur la quête des origines et les troubles de l’identité (thèmes chers à Grangé), Kaïken – terme désignant le poignard avec lequel les femmes de samouraïs se suicidaient – est un thriller trépidant que l’on dévore avec avidité.
A la fois enquête criminelle et quête intime de Passan tentant de comprendre son existence à la dérive, Kaïken illustre de manière protéiforme le combat entre la modernité et la tradition, à l’image de l’admiration portée par le Français au Japon ancestral : « Il occultait tout le reste. Le matérialisme enragé. L’obsession technologique. L’abrutissement d’une population qui travaille dix heures par jour. UN sens de la communauté qui confine à l’aliénation. Il tournait aussi le dos à l’esthétique des mangas, qu’il détestait, cette obsession des gros yeux noirs alors qu’il n’aimait que les paupières en amande. Il oubliait la course aux gadgets, le pachinko, les sitcoms, les jeux vidéo… Surtout, Passan niait la décadence de l’Archipel. Depuis son premier voyage, la situation n’avait cessé d’empirer. Crise économique. Endettement chronique. Désœuvrement des jeunes générations… Il cherchait toujours Toshiro Mifune, l’acteur fétiche de Kurosawa, et son sabre dans les rues, sans voir les androgynes efféminés, les geeks absorbés dans leurs mangas, les salariés ensommeillés dans le métro… Ces générations qui n’avaient pas hérité de la force de leurs ancêtres mais au contraire d’une fatigue accumulée, écrasante. Une société qui se relâchait enfin, gangrénée par la déliquescence occidentale. » Ce constat désabusé est valable ailleurs qu’à Tokyo ou Kyoto.