Pour son concert du 28 mars prochain, l’association Les Arts Renaissants invite le prestigieux ensemble instrumental et vocal Le Caravansérail. Placé sous la direction du claveciniste Bertrand Cuiller, les dix chanteurs et les quatre instrumentistes qui le composent offrent un programme rare et original de pièces sacrées de Domenico Scarlatti.
Bertrand Cuiller a commencé le clavecin avec sa mère. En 1998, il remporte le troisième prix du Concours international de clavecin de Bruges. Après plusieurs années au sein d’orchestres comme Les Arts florissants, Le Concert spirituel et Le Poème harmonique, Bertrand Cuiller décide de se consacrer exclusivement au clavecin et à la musique de chambre, puis il crée Le Caravansérail.
Assez souple pour être un ensemble de musique de chambre ou un orchestre d’opéra, Le Caravansérail aborde tous les répertoires des XVIIe et XVIIIe siècles, jusqu’à des rencontres avec les musiques actuelles et la création.
A l’occasion de sa venue à Toulouse, Bertrand Cuiller a accepté de répondre à quelques questions relatives à sa carrière de musicien.
Comment est né votre engagement musical et le choix de votre instrument de prédilection, le clavecin ?
Mes parents étant musiciens, j’ai beaucoup côtoyé ce milieu étant jeune, assisté à des répétitions et des concerts. Le choix d’être musicien s’est fait très jeune, adolescent – j’étais dans une section de collège à horaires aménagés puis en F11 au lycée. Je n’avais aucune autre envie que de faire ce métier. Le clavecin étant présent à la maison, ma mère était mon professeur – plus tard j’ai rencontré Pierre Hantaï : quel meilleur musicien pour faire naître une passion ?
Quel a été le premier répertoire qui vous a attiré ?
Je réponds à l’envers : je me souviens que jusqu’à 15 ans je n’aimais pas Bach. « Trop compliqué ! » J’aimais bien Rameau, Scarlatti, puis j’ai aussi découvert les virginalistes anglais Byrd, Bull et ai fait une plongée dans leur univers.
Entre une carrière de soliste et celle qui vous lie à un ensemble instrumental avez-vous une préférence, faites-vous un choix ?
Tout ce que je fais est complémentaire, mon seul objectif est de faire de la musique, ce sont différentes manières de le faire. Mais je suis profondément attaché au jeu instrumental.
Comment a été fondé le Caravansérail ?
Il y a une dizaine d’années, j’avais arrêté de faire le continuo dans les orchestres français et me concentrais uniquement sur la musique de chambre et le solo. Une expérience de direction en 2012 (Venus & Adonis de John Blow) m’a donné envie de continuer de monter mes propres projets. Accompagné et soutenu à sa création par la fondation Royaumont où j’étais en résidence comme claveciniste en 2014, le Caravansérail est né en 2015.
Comment se décide le répertoire actuel de l’ensemble ? La musique ancienne occupe-t-elle une place prépondérante ?
La musique ancienne occupera toujours une place prépondérante, même si les rencontres et envies peuvent actuellement me pousser vers des musiques plus actuelles. Nous créerons par exemple bientôt une pièce de Benjamin Attahir, commandée spécialement pour la reprise du programme de concerti de Bach à 3 et 4 clavecins.
Le jeu instrumental « historiquement informé » joue-t-il un rôle particulier dans vos interprétations ?
Oui. C’est un équilibre qui est à la base de notre façon de faire : la connaissance nourrit l’inspiration. Pour chaque projet nous réfléchissons ou nous renseignons auprès de spécialistes pour être à jour des dernières recherches ou découvertes historiques sur les instruments, le contexte, tout ce qui peut apporter de la matière solide.
Ensuite, en répétition, la musique reprend ses droits. Je m’entoure uniquement de musiciens que je considère comme faisant partie d’une même famille musicale afin que nous nous comprenions sur le vocabulaire et des choses fondamentales, et nous évitons de trop discuter pour privilégier l’écoute musicale et le « jeu ».
Quelle place tient la participation vocale dans le choix de vos programme profanes ou religieux ? Qu’en est-il de l’opéra ?
Nous avons toujours plusieurs programmes instrumentaux ou vocaux en construction. La musique baroque est si diverse que j’aime que tout reste possible en termes de répertoire. Mais je me sens un devoir personnel de mettre l’accent sur la musique instrumentale, car elle est dans une position difficile par rapport à la musique vocale, si attrayante pour les programmateurs, qui rempliront toujours plus facilement des salles avec un chanteur connu qu’avec des concertos. Un programme comme les concertos pour 3 & 4 clavecins de Bach prouve que cela vaut le coup, que le public vient, et aussi qu’il adore qu’on lui raconte une histoire sans forcément qu’il y ait de mots.
L’opéra, évidemment, j’adore, mais je ne peux pas mettre la même énergie dans tout.
Si une maison d’opéra me propose un projet, il est probable que je saute sur l’occasion !
La découverte de répertoires oubliés joue-t-elle un rôle particulier dans l’établissement de vos programmes ?
Cela arrive : nous jouerons principalement de très belles pièces inconnues dans le projet que nous créerons fin 2023 autour des claviéristes romains post-Frescobaldi. Mais, et c’est logique le temps passant, il est de plus en plus rare que la musique découverte soit aussi bonne que celle que l’on connaît déjà.
Qu’en est-il de la politique discographique de l’ensemble et de vous-même en tant que soliste ?
Le prochain projet du Caravansérail est d’enregistrer avec le label Mirare les concertos pour 3 et 4 clavecins de Bach – une sorte de fête du clavecin et des clavecinistes.
En solo, je vais sortir un nouveau volume consacré à François Couperin très bientôt chez Harmonia Mundi et mon disque suivant sera 100 % Bach. Nous n’avons pas de politique générale concernant les disques : il faut qu’ils soient beaux, et que le public puisse les entendre !
Merci beaucoup pour vos réponses.
Un programme à la gloire de Scarlatti
L’imposant corpus pour clavier laissé par Domenico Scarlatti – 555 sonates – occulte trop souvent une production foisonnante, qui embrasse avec bonheur des genres aussi différents que l’opéra, l’oratorio, la cantate ou la messe… C’est à ce volet sacré et vocal que le programme du concert donné le 28 mars prochain à 20 h en l’Église Saint-Jérôme de Toulouse sera consacré. Le cœur de cette soirée, son Stabat Mater composé vraisemblablement entre 1714 et 1719, passe pour l’œuvre maîtresse de sa production vocale. Son écriture contrapuntique à dix voix indépendantes, en fait une partition unique par la complexité et la richesse de son écriture.
Ce monument universel sera précédé de la Missa brevis Quatuor Vocum, dite « Messe de Madrid », en raison d’une retranscription présente dans un manuscrit de la Chapelle royale espagnole en 1754. D’une facture plus sobre, cette messe se caractérise par l’intériorité de son expression.
Le solennel Te Deum à double chœur à huit voix, unique pièce de ce genre laissée par Scarlatti complètera ce riche programme au cours duquel Bertrand Cuiller jouera cependant en intermède la Sonate pour clavier K 30.
Un grand moment en perspective !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse