Des figures tutélaires du cycle Grands Interprètes se retrouvent pour un programme exceptionnel dans ce concert du mardi 4 avril à la Halle à 20H. Le violoniste virtuose à la carrière planétaire Renaud Capuçon rejoint l’iconique Budapest Festival Orchestra et son directeur emblématique Iván Fischer.
Le programme est, disons, somptueux. Il est le suivant :
ERNO DOHNÁNYI : Symphonic minutes for orchestra, opus 36 7’
BELÀ BARTÓK : Concerto pour violon et orchestre n°1, Sz. 36′
RICHARD STRAUSS : Don Juan, opus 20 17’
RICHARD STRAUSS : Danse des sept voiles (Salomé) opus 54 9’
RICHARD STRAUSS : Till l’Espiègle, opus 28 15’
E. DOHNANYI : Symphonic minutes for orchestra
La première œuvre interprétée, Symphonic minutes, a été composée en 1933 par le hongrois Ernö Dohnányi, appartenant à une lignée illustre de musiciens qui, hélas, a subi les horribles traumatismes du nazisme. On note que les œuvres d’Ernö sont relativement peu présentes dans les programmes de concerts et que, lui-même, n’a pas cherché quand il le pouvait à les imposer. Comme Bartók, il est décédé aux Etats-Unis, en 1960.
B. BARTÓK : Concerto pour violon n°1
1. Andante sostenuto
2. Allegro giocoso
Écrit en 1908, d’abord pour la jeune violoniste Stefi Geyer, le premier Concerto pour violon de Bartók a tout une histoire : l’œuvre fut par la suite remaniée et son premier mouvement devient le premier de Deux portraits, pour orchestre. L’œuvre concertante est ensuite sortie de son ombre cinquante plus tard, en 1958, grâce au chef d’orchestre Paul Sacher qui décide d’en confier la création à Hansheinz Schneeberger, deux ans après la mort de Stefi Geyer et treize ans après celle du compositeur. Deux portraits car dans l’œuvre on devine une partie dédiée à l’amour éprouvé pour la jeune fille et un second volet qui démontre son admiration pour son talent de violoniste.
Mais pourquoi Stefi Geyer ? Tout simplement parce que le jeune Bartok en est amoureux. Dans son œuvre, plusieurs motifs dédiés à Stefi prennent forme. « Vos leitmotive me hantent, je vis du matin au soir en leur compagnie, en eux, comme dans un rêve narcotique. Et c’est bien ainsi ; mon travail a besoin d’un opium de cette sorte, même si cela use les nerfs, même si c’est un poison, même si c’est dangereux. »
RICHARD STRAUSS : Don Juan, op. 20
Par une écriture orchestrale somptueuse, Richard Strauss s’empare de l’histoire de l’immortel séducteur Don Juan.
Composé à vingt-quatre ans, Don Juan – 1888/89 – fait partie des très nombreux poèmes symphoniques écrits par le compositeur surtout durant les dix dernières années du XIXè. Avec Till l’espiègle, ils sont reconnus comme étant ses deux plus grandes réussites orchestrales.
Richard Strauss adhère à l’idée de Franz Liszt : écrire de la musique instrumentale en s’inspirant d’un programme poétique qui donnerait forme à la composition. Assez du corset « exposition – développement – réexposition », le piège étant tout de même que l’auditeur ne se laisse accaparer par le programme, et en oublie d’écouter la musique. D’où, dans Don Juan, son abandon, s’en crier gare, du programme que d’aucuns pensaient déjà suivre jusqu’au bout en s’appuyant sur le livret d’un certain Mozart.
« Pour moi, le programme poétique n’est rien de plus que le moyen de créer une forme à travers laquelle ma sensibilité musicale s’exprime et se développe librement ; il ne s’agit pas, contrairement à ce que vous croyez, d’une plate description musicale de tel ou tel événement de la vie. (…) Celui que cela intéresse peut l’utiliser. Celui qui comprend la musique n’en a probablement pas besoin. »
A l’instar de Zarathoustra, Don Juan symbolise pour Strauss l’individu qui, fidèle à lui-même, suit son propre chemin contre vents et marées – une sorte de frère spirituel du compositeur, lequel devait défendre l’idée du poème symphonique face à une cohorte de sceptiques conservateurs.
Si le XIXè fut un siècle de lecture, tout compositeur digne de ce nom se devait de cultiver également la littérature. C’est ainsi que la culture littéraire de Richard Strauss était reconnue comme immense. Goethe en intégral, romans russes, traités historiques, Nietzsche, Schopenhauer, le domaine est vaste.
C’est le drame profond écrit par Nikolaus Lenau qui va inspirer ce poème symphonique, et non pas le livret de Don Giovanni. Une trentaine de vers en tout figurent en exergue au poème symphonique, et, sur un souhait du compositeur, sont insérés dans le programme du concert à la place de l’analyse.
Son héros n’est pas le banal coureur de jupons dont le châtiment sera la mort : Don Juan croise le fer avec Don Pedro, le frère de Donna Anna, dont le père a été assassiné par l’aventurier, et il se laisse transpercer car : « Je tiens en main la vie de mon ennemi le plus acharné, mais cela aussi lasse, autant que la vie même. »
Pour en savoir plus sur ce poème symphonique Don Juan, cliquez ici.
RICHARD STRAUSS : Danse des sept voiles (Salomé) op. 54
C’est un des moments –phare et pivot dans le sulfureux opéra de ce compositeur, créé le 9 décembre 1905 à Dresde , quarante-cinq jours avant Elektra. Dix minutes de musique qui ont été décortiquées sur des milliers de lignes. En gros, une introduction, trois grandes sections, assez lente, toujours assez lente puis un brillant presto et une furieuse accélération coupée en plein élan par une pause. Enfin une coda sous forme d’un prestissimo d’une farouche impétuosité. Un complexe sonore d’une grande intensité dramatique.
Rappel de la scène : Tandis que la voix du prophète ne cesse de tonner et de condamner depuis le souterrain, Hérode et Hérodias rejoignent Salomé, perdue dans ses pensées. Hérode est à la fois conscient et inconscient du caractère sacré de l’homme qu’il retient prisonnier ; mais pour l’heure, seul compte pour lui l’éclat envoûtant de Salomé. Le Tétrarque la supplie de danser pour lui – ce que la princesse finit par accepter après s’être fait promettre qu’il accèdera, en échange de sa danse, au moindre de ses désirs. Salomé entame la Danse des Sept voiles, au cours de laquelle elle se dévêt peu à peu pour terminer totalement nue, sous les regards lubriques d’Hérode. Tous les degrés de ses fantasmes se coulent dans l’orchestre moite et luxuriant de Strauss. Son désir sera d’obtenir la tête de Jean le Baptiste afin de lui baiser sa bouche.
En fin de concert, RICHARD STRAUSS : Till Eulenspiegel lustige Streiche, opus 28, ou « Les joyeuses facéties de Till l’Espiègle », (1895).
1894, le compositeur vient de subir son premier échec avec son premier opéra Guntram, trop wagnérien d’atmosphère. 1894, c’est aussi la création par Gustav Mahler lui-même de sa Symphonie n°1. C’est aussi Claude Debussy et son Prélude à l’Après-midi d’un faune, ou encore Paul Dukas et son Apprenti sorcier. La déconvenue subie avec Guntram va contrarier son projet de second opéra qui devait être consacré à Till l’espiègle. Il va s’éloigner de la création lyrique pendant dix ans et, transformer Till en une sorte de pantomime drolatique avec ses deux personnages principaux, Till d’une part, et les gens du peuple d’autre part auxquels il joue mille tours.
Till, que la légende flamande situe au XIVè siècle, impose de lui-même une impétuosité sans répit. Fanfaronnade, allégresse : il est successivement grotesque, penaud, harangueur, imperméable aux avanies. Dans l’imagination, surgissent silhouettes, paysages et saynètes vivaces. Sans le secours des mots, Till se révèle bien un « opéra symphonique » dont le solo de cor initial résonne à l’envi dans de si nombreuses salles de concert. Une œuvre relativement courte mais reconnue comme un pur joyau orchestral. Et vous devinez qu’il est inutile de vous raconter les différents couplets de l’anecdote pour apprécier cette musique qui se suffit largement à elle-même.
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