Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Steamboat Bill, Jr de Buster Keaton et Charles Reisner
Buster Keaton (1895-1966) ne fut pas seulement l’un des plus grands génies comiques du cinéma, mais aussi et simplement l’un des plus grands cinéastes de l’histoire. A la fois acteur et metteur en scène, parfois scénariste et producteur, il a signé – outre de très nombreux courts métrages dont certains sont des chefs-d’œuvre – une dizaine de longs métrages exceptionnels parmi lesquels Sherlock Junior, La Croisière du Navigator, Les Fiancées en folie ou Le Mécano de la « General ». Steamboat Bill, Jr, sorti en 1928 et connu également sous le titre Cadet d’eau douce, est l’une de ses plus flamboyantes réussites. Le film raconte la rencontre entre un père et un fils qui ne se connaissaient pas, une évasion de prison et une histoire d’amour. Surtout, ces péripéties vont en partie se dérouler au cœur d’un cyclone dévastateur frappant le Mississipi…
L’univers et les talents de Buster Keaton sont réunis dans ce film contenant des scènes d’anthologies à l’instar de la façade d’un immeuble qui s’effondre sur le héros (joué par Keaton) sans l’écraser par la grâce de la trajectoire et d’une fenêtre ouverte. On comprend en voyant Steamboat Bill, Jr pourquoi les surréalistes adoraient le réalisateur et acteur. Sa silhouette semblait sortie d’une toile de Magritte, ses personnages étaient en quête de « l’amour fou », la réalité se déformait et se pliait à leurs désirs. De même, Keaton pratiquait l’art du détournement, transformait la maladresse en atout et incarnait des êtres inadaptés, des anarchistes malgré eux qui ne voulaient pas changer le monde, mais le fuir.
Le regard de Keaton
Comédien, acrobate et cascadeur dès sa plus tendre enfance au sein de la troupe familiale, Keaton ne cessa dans son œuvre de faire de son corps un outil, le réceptacle et le révélateur de tout ce que peut affronter la condition humaine. Dans Steamboat Bill, Jr, comme dans d’autres de ses films, il faut affronter les éléments déchaînés, une tempête quasi apocalyptique faisant naître des situations absurdes ou kafkaïennes.
On le surnomma « L’Homme qui ne rit jamais » à cause de son allure de clown blanc. Si son jeu excluait grimaces et mimiques (à l’inverse d’un Charlie Chaplin), cette impassibilité présumée était fausse, de légères inflexions éclairant la douceur un peu triste de son visage. Que de poésie, d’innocence, de mélancolie dans le regard de Keaton. Que de jubilation et de rires dans ses gags et dans les images incroyables qu’il créa. Chaplin sut négocier le virage du cinéma parlant, pas Keaton. Son génie sera brisé par les studios. De mauvais choix et des démons intérieurs ne compteront pas non plus pour rien dans son déclin. Cela n’empêche pas de savourer la beauté de films qui n’ont pas pris une ride.
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