Dans une actualité photo toulousaine bien dense en ce printemps chahuté, deux expositions viennent d’ouvrir, qui tracent à leur manière un chemin vers cette nécessité d’écriture et de création – ici par l’image – qui amplifie l’expérience de la vie.
Episode 1 :
11946 (Bayle) de François Boutaud au Laboratoire Photon jusqu’au 12/07/2022
Heureux élu de la première édition d’une résidence artistique de territoire organisée par le Collectif Trigone, François Boutaud pousse un beau matin la porte du café du village et d’emblée y prend sa place : « Bonjour, je m’appelle François Boutaud, je suis photographe et j’entame une résidence dans votre village. Vous allez me voir souvent, un peu partout parce que je n’ai pas de repères. On se recroisera certainement. (sourires) »
Dépassée cette étape protocolaire, place au temps long, aux rencontres qu’il offre, à baisser la garde et davantage : installer une familiarité avec la pose qui souvent intimide. Et puis le temps long de François Boutaud lui-même, avec ses visions, une forme de solitude qu’on se découvre nécessaire pour laisser fonctionner son instinct, et raccrocher ses résonances aux reflets du terrain sur lequel on évolue – ici Carla-Bayle, ses gens, ses arbres, … et sa nuit. C’est ainsi que s’impose à François le thème de sa résidence : ce sera l’errance, et ses surprises qu’il accueille. Peu à peu il s’immerge dans les atmosphères, trouve les points de connexion avec sa thématique, construit une série dont on peut voir aujourd’hui l’aboutissement, surprenant de singularité, d’appropriation.
Posée en contrainte par le cahier des charges, l’utilisation du support argentique noir et blanc se mue alors en instrument de création. Avec le film en effet, pas de résultat visible dès la prise de vue, ce qui laisse le champ libre au choix de l’instant décisif, sans doute pas celui d’Henri Cartier-Bresson – davantage ici sur le moment du ressenti qui sonne juste. Sur le résultat ensuite, l’émulsion elle aussi impressionnée, la découverte au tirage, comment on s’empare de la plasticité des ombres et des lumières, du grain, ce qu’on en fait pour dire encore plus juste.
Quelques portraits qu’on peut s’imaginer saisis au vol au cours d’une parlotte, à table, dans l’atelier, ou près du silo. Et puis ces impressions nocturnes, à la rencontre de l’esprit des lieux, irradiants sous la lune magnétique, ultime conversation, silencieuse.
Ici, une étrangeté persiste.
Quelque chose de la lune.
Cet astre, bout de Terre arraché, est comme un possible, une autre version.
Peut-être son magnétisme n’est-il pas tout-à-fait le même, ici peut-être est-elle à peine un peu plus proche, à peine plus pleine.
Et sa clarté, reflet du soleil a jamais changé, nous inonde …
Quelque chose se développe, lentement ou brusquement, dans la nuit. Une nuit qui pourrait être la nôtre comme celle d’une autre planète, avec ses propres lois d’attraction.
Ce serait quelque chose qui ne pourrait être capté que par la lumière de la lune, et sa persistance en plein jour. [François Boutaud]
Les images retenues par François Boutaud témoignent de ces instants en équilibre qu’on ne voudrait manquer de capter sous aucun prétexte : ni celui du cadre, de l’éclairage, du point, ou encore du grain. Car l’équilibre dont on parle est celui du regardeur, seul à connaître la fugacité et la vulnérabilité de l’émotion qui passe. Ce regardeur c’est bien sûr le photographe, mais aussi le spectateur ou le lecteur, car ces fragilités exposées renvoient à chacun les siennes, pour en faire ce qu’on voudra. Troublant partage.
Indispensable photographie.
Le Laboratoire Photon a réalisé les impressions sur papier Epson Fine Art Cotton Textured Natural.
8 rue du Pont Montaudran (derrière la Halle au grain) – du lundi au vendredi
Un article du blog La Maison Jaune
A SUIVRE, l’épisode 2: l’exposition de Dimitra DEDE à la Galerie du Chateau d’Eau