Au Théâtre du Pavé, Corinne Mariotto reprend « la Cuisine de Marguerite », spectacle rassemblant des textes de Duras.
Corinne Mariotto a créé la Compagnie de la Dame en 2014, pour jouer avec Denis Rey « le Bureau de poste de la rue Dupin et autres entretiens », extraits des conversations foisonnantes entre Marguerite Duras et François Mitterrand. La Compagnie de la Dame porta ensuite la création de « la Cuisine de Marguerite », spectacle intimiste associant les carnets de recettes de cuisine de Duras et « la Maison », un texte tiré du recueil « la Vie matérielle ». Fruit d’un minutieux travail d’adaptation et de montage des écrits de Duras réalisé avec la complicité de la comédienne Muriel Bénazéraf, « la Cuisine de Marguerite » restitue les préoccupations et les réflexions de l’écrivaine à propos de sa vie, avec son fils, dans la maison acquise en 1958 à Neauphle-le-Château, près de Versailles, grâce à la vente des droits de l’adaptation cinématographique du « Barrage contre le Pacifique ». Cette grande demeure est dotée de quatorze pièces réparties dans trois bâtisses, dont deux anciennes fermes construites au XVIIIe siècle. À l’époque, Marguerite Duras collaborait par ailleurs au magazine Elle, sous le pseudonyme de Marie-Joséphine Legrand.
Dans « la Maison », Marguerite Duras écrit: «La maison, c’est la maison de famille, c’est pour y mettre les enfants et les hommes, pour les retenir dans un endroit fait pour eux, pour y contenir leur égarement, les distraire de cette humeur d’aventure, de fuite qui est la leur depuis les commencements des âges. Quand on aborde ce sujet le plus difficile c’est d’atteindre le matériau lisse, sans aspérité, qui est la pensée de la femme autour de cette entreprise démente que représente une maison. Celle de la recherche du point de ralliement commun aux enfants et aux hommes. (…) À Neauphle, souvent, je faisais de la cuisine au début de l’après-midi. Ça se produisait quand les gens n’étaient pas là, qu’ils étaient au travail, ou en promenade aux étangs de Hollande, ou qu’ils dormaient dans les chambres. Alors j’avais à moi tout le rez-de-chaussée de la maison et le parc. C’était à ces moments-là de ma vie que je voyais clairement que je les aimais et que voulais leur bien. La sorte de silence qui suivait leur départ je l’ai en mémoire. Rentrer dans ce silence c’était comme rentrer dans la mer. C’était à la fois un bonheur et un état très précis d’abandon à une pensée en devenir, c’était une façon de penser ou de non penser peut être – ce n’est pas loin – et déjà, d’écrire. Lentement, avec soin, pour que ça dure encore, je faisais la cuisine pour ces gens absents pendant ces après-midi-là. Je faisais une soupe pour qu’ils la trouvent prête au cas où ils auraient très faim. S’il n’y avait pas de soupe il n’y avait rien du tout. S’il n’y avait pas une chose prête, c’est qu’il n’y avait rien, c’est qu’il n’y avait personne. Souvent les provisions étaient là, achetées du matin, alors il n’y avait plus qu’à éplucher les légumes, mettre la soupe à cuire et écrire. Rien d’autre».
Corinne Mariotto s’affaire seule dans une cuisine installée sur scène. Elle manie ces récits de la vie quotidienne avec le farouche désir de faire entendre cette langue toujours si actuelle: «Je dis ces textes aux gens en les regardant, ils sont avec moi, dans ma cuisine. Et tout en parlant aux gens, je prépare la soupe aux poireaux qu’ils mangeront à la fin de la représentation. Le résultat, c’est, peut-être pour la première fois, un spectacle qui me ressemble vraiment, qui correspond complètement à ce que j’imaginais, qui s’est fait avec la même évidence qu’il est né dans mon esprit. Et cette évidence se ressent dans le public chaque soir. Il y a une espèce de complicité, de communion avec chaque personne du public, une intimité très forte, palpable dans le partage de ces textes de l’intime, qui parlent d’amour, des hommes, de cuisine, de la mère, de la maison, de la mort, de l’enfance…», raconte la comédienne qui reprend ces jours-ci « la Cuisine de Marguerite » au Théâtre du Pavé.
« La Cuisine de Marguerite », du jeudi 10 au dimanche 13 février, au Théâtre du Pavé, 34, rue Maran, Toulouse. Tél. 05 62 26 43 66.