Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
S’agit-il d’un premier roman ou d’un récit, selon les termes utilisés alternativement par l’éditeur du Feu aux joues ? Au fond peu importe car cette autobiographie fragmentée et sensible est portée par une écriture échappant aux productions formatées. Jil Caplan a connu, à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, un certain succès (Oh ! Tous les soirs, Comme sur une balançoire, Cette fille n’est pas pour toi, Tout c’qui nous sépare, Natalie Wood) avant d’enregistrer par la suite des albums tout aussi réussis, mais plutôt prisés par les happy few.
Aujourd’hui, son livre – dont les chapitres portent le titre de chansons (notamment signées Blondie, Bowie, Marvin Gaye ou Prefab Sprout) – ne se contente pas de retracer la carrière de celle qui sortit son premier album, A peine 21, en 1987. On découvre l’enfance, les souvenirs familiaux, les premières fois de Valentine Guillen, pas encore Caplan, qui, inscrite à la Sorbonne en lettres modernes et au cours Florent, va finalement trouver son expression dans la musique.
Adieu Paris
Entourée d’amis musiciens (dont les futurs Innocents), elle rencontre Jay Alanski – producteur, auteur et compositeur en vue – qui écrit pour elle « des chansons qui parlent de sentiments, de rencontre et de rupture, de solitude et de mélancolie. » Le décor est planté. Ce sera la touche Caplan, élégant mélange de légèreté et de désenchantement aux accents fitzgéraldiens avec « la prescience d’un bonheur fatalement perdu, du temps qui va changer ». Le Feu aux joues reconstitue au fil de petites scènes « la vie du chanteur populaire » au moment où l’on commence à racheter ses vinyles en CD (depuis quelques années, on fait l’inverse). L’industrie musicale est florissante. La chanteuse enchaîne les émissions kitsch, les prestations improbables à l’instar des pages tragi-comiques sur des concerts à Tahiti pour des militaires français.
Du XXème arrondissement de son enfance aux beaux quartiers en passant par les appartements minables de ses jeunes années, Jil Caplan décrit aussi une topographie parisienne et une époque, une ville et un temps plus proches des romans de Patrick Modiano que de la cité d’Anne Hidalgo. Sous sa plume, les années quatre-vingt, qui semblaient si colorées, ont les teintes noires et grises des Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer. Pour autant, la lumière perdure. La scène, « cet endroit où plus rien ne sera lourd, plus rien ne sera dramatique », distille toujours ses moments de grâce. Comme ce livre.
Le Feu aux joues • Robert Laffont