Même si l’hiver n’est qu’à sa moitié, je sens le printemps s’annoncer dans des coups de coeur culturels.
Une exposition d’Aitor de Mendizabal (1) « L’arbre et sa forêt de signes » / El arból y su bosque de signos
à l’Instituto Cervantes de Toulouse
jusqu’au 25 février 2022
L’exposition est composée d’une série de sculptures, de peintures et de dessins sur le thème de l’arbre que l’artiste travaille depuis quelques années, suite à la passion qu’il éprouve pour cet être vivant (2), conscient que cette espèce est en danger; et nous avec.
Si mon empathie pour l’arbre vivant m’a interdit jusqu’ici de sculpter le bois, j’ai cherché par différents moyens à m’approprier son esprit, soit dans mes dessins et peintures, soit dans mes sculptures, opérant une transmutation vers d’autres matériaux industrialisés, pour évoquer sa puissance, sa pérennité, sa fragilité, mais surtout son immense dignité. Les œuvres présentées dans cette exposition, et dans ce livre se veulent un hommage réfléchi, profond, à l’arbre, à la forêt, au monde végétal dans son ensemble.
Mais aussi un cri d’alarme, évident quand on s’arrête devant les « squelettes » et les « modifications génétiques », les métaphores de branches coupées et de mutilations, présentes sous nos yeux. L’absence de feuillages sur ces images contre-nature dans des matériaux dont aucun n’est le bois (acrylique et encre de chine sur toile, mais aussi bronze, cuivre et aluminium) rend encore plus prégnant le propos, et même un certain malaise voulu sans doute par le plasticien.
Heureusement comme l’a dit une visiteuse séduite que « l’artiste est lui-même un bel arbre ».
Au XVIe siècle, Pierre de Ronsard interpellait les bûcherons de la forêt de Gastine dans un poème, en assemblant des mots, aujourd’hui Aitor de Mendizabal le fait avec des alliages de métaux.
Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !…
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d’été ne rompra la lumière.
Deux livres :
Les Tribulations d’un reporter randonneur de Patrice Teisseire-Dufour aux Editions Sud-Ouest, qui a pris place dans le rayon Pyrénées de ma thébaïde de Bagnères-de- Luchon, aux côtés de Pyrénéesde Louis Audoubert aux Editions du Belvédère, du Dictionnaire des Pyrénéessous la direction d’André Lévy, aux Editions Privat, et de Gouffres, chaos, torrents et cimes, Les Pyrénées des peintres,catalogue de l’exposition du Musée Paul-Dupuy, aux Editions Privat encore.
Auteur de récits, de beaux livres, de poèmes et de guides de randonnées, grand reporter pour Pyrénées Magazine, Patrice Teisseire-Dufour n’en finit pas de parcourir ses chères Pyrénées et leur Piémont, en digne descendant des explorateurs pyrénéistes. Il ne ménage pas sa peine ni sa fatigue, n’hésite pas à prendre des risques pour nourrir ses chroniques: mais attention, si vous voulez mettre vos pas dans les siens, il vaut mieux être un randonneur aguerri, et bien encadré.
Dans cette suite de petites vignettes, où il raconte simplement, mais toujours avec érudition et esprit, ses aventures pédestres, aquatiques ou aériennes, il métisse ses récits vécus d’humour, d’autodérision, et même de poésie.
Mi-Tintin, crapahutant pour découvrir le trésor du Temple du Soleil, mi-Walter Benjamin, habité par l’actualité toujours renouvelée de la nature, de la demande qu’elle nous adresse, fût-ce à rebrousse-poil, de l’honorer, et à laquelle il appartient à chaque génération de répondre, mi-Stevenson, notant tout de sa traversée des Cévennes à pied, mais sans la dureté de celui-ci, -dans les habitudes de l’époque-, pour cette pauvre Modestine, l’ânesse. Bien au contraire, comme dans Les oiseaux ne se cachent pas toujours pour mouriroù il évoque avec émotion la mort sous ses yeux d’une petite mésange charbonnière.
Et il nous offre une galerie de portraits croqués sur le vif, tel l’Homme de l’Hospice de France, le Facteur du Pic de Girantès ou Mont Ceintdans le Couserans, fidèle à la mémoire des passeurs et maquisards de la seconde Guerre mondiale, ou encore la Dame du Mont Tauch dans les Corbières, seule à fabriquer encore des vêtements naturels en toison de chèvres mohair.
Ou encore cet ancien militaire russe, ancien de la Légion étrangère, désormais « accueillant » sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, capable de réciter les grands poètes de son pays (Dieu sait qu’il y en a), dont Boris Pasternak !
Je voudrais parvenir au cœur Des choses, en toutes: Dans l’œuvre, les remous du cœur, cherchant ma route.
À l’essence des jours passés, Leur origine, Jusqu’à la moelle, jusqu’au pied, À la racine.
Des faits, des êtres sans arrêt Saisir le fil, Vivre, penser, sentir, aimer,
Et découvrir…
Un poème qui va comme un gant, de randonneur, à Teisseire-Dufour.
Et dont la lecture m’a ressourcé après celle de Pourquoi aurais-je survécu ?, poèmes d’Edith Bruck aux Editions Rivages poche, dans une traduction de l’écrivain René de Ceccatty.
Un grand choc dans ma vie de lecteur de poésie, mais dont je ne suis pas sorti indemne, comme celle de Primo Levi, l’ami de cette écrivaine italienne d’origine hongroise, rescapée elle-aussi de la Shoah vécue à 13 ans et vivant encore à 90 ans en Italie où elle se sent si bien; autant qu’on peut se sentir bien quand on a vécu le pire.
Naître par hasard
naître femme
naître pauvre
naître juive
c’est trop
en une seule vie.
Dans des textes courts, souvent comme des haikus (3), elle interroge le mal, « la banalité du mal » comme disait Hannah Arendt, la mémoire et l’exil intérieur de ceux qui sont revenus de l’enfer, mais aussi l’amour de ses parents:
Ma mère était une sainte
elle faisait des miracles
dans le garde manger vide
elle trouvait toujours quelque chose :
trois quatre pommes de terre
Une poignée de freine
deux œufs
et de l’huile frite,
touillant le tout
dans la marmite sur le poêle
« sur lequel » disait elle
« on pouvait même poser ses fesses nues »
tant il était froid,
elles nous servait des assiettes fumantes
aux mille saveurs.
« Je n’ai plus peur, parce que le pire est passé », écrit-elle, mais « le tribut on le paie en vivant », dans une « insatiable remémoration », une longue odyssée avec une compagne de vie omniprésente:
Personne n’est plus fidèle
que la mémoire
elle ne nous abandonne jamais
pas même vieux, au contraire…
Elle ne nous oublie
même pas dans le rêve.
Cette dame est l’une des dernières voix, l’un des derniers grands témoins de la Shoah, elle conte et raconte, avec talent, dans ses romans, mais aussi devant les collégiens et les lycéens, la déportation puis la libération -qui est aussi un enfermement: « Les enfants de survivants ne peuvent pas raconter. Nous sommes les derniers et nous sommes peu nombreux ». Malgré son grand âge, elle répète à ceux qui veulent l’entendre que Par amour des patries Les cimetières sont pleins, elle leur parle de sa propre mère-savon(image terrible)
… pour leur enseigner le passé,
pour leur avenir, pour les vacciner avec l’antidote contre la haine
envers quelque être humain que ce soit.
C’est pour cela qu’au-delà de sa forme achevée, cette parole poétique a tant de valeur. Et pas seulement le 27 janvier, anniversaire de la libération du camp de concentration d’Auschwitzet journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité.
Deux disques :
Barn de Neil Young
Né en 1945, cet immigrant canadien est le 1erfolksinger à avoir électrifié sa guitare, 2 ans avant Bob Dylan, même s’il joue aussi de l’acoustique et du piano.
Si son groupe s’appelle Crazy Horse, du nom de ce guerrier sioux célèbre pour sa résistance, son juste combat contre les soldats bleus de l’armée américaine et son assassinat par ceux-ci, ce n’est pas un hasard: il n’en finit pas d’écrire son rêve de l’Amérique d’avant Christophe Colomb. Et si à 70 ans bien sonnés, il continue à chanter l’amour et à se révolter contre la folie de certains hommes politiques.
Toujours fidèle à ses convictions écologiques, Neil Young nous invite à un retour aux sources dans l’Amérique précolombienne des forêts et des rivières libres, celle des Amérindiens génocidés.
Dans l’émission Boomerang du 10 décembre 2021 sur France Inter, il affirmait: « En 76 ans, j’ai vu une quantité énorme de dégâts causés à la Terre. A l’époque, nous ne savions pas ce que nous faisions, mais maintenant nous savons. Et pourtant, on a du mal à se rassembler pour s’en occuper. »Et aussi: « Le pouvoir d’une chanson est à la mesure de celui qui l’écoute, des gens qui l’entendent. Si quelqu’un est ouvert au changement, une chanson peut l’emmener à reconsidérer ses actes. »
Barn, son dernier disque, a été enregistré dans sa grange-studio, avec ses vieux copains de Crazy Horse. Même si cet album est inégal, c’est toujours un grand plaisir de retrouver sa guitare, son harmonica, sa voix haut perchée, ses balades mélancoliques et sa fougue d’éternel jeune homme, qui ont fait de lui une légende vivante du rock et un compagnon de voyage pour les gens de ma génération.
Alchimiste de Mélinée
Je vous ai déjà parlé d’elle dans une précédente chronique.
Née à Toulouse, Mélinée promène ses petites chansons mélancomiques, toujours amoureuses, entre Toulouse et Berlin. Lauréate de Prix Nougaro, en 2010, elle a jeté l’ancre définitivement à Berlin et franchit le cap du professionnalisme. Et chante désormais dans ses deux langues, français et allemand. Française aux origines juives-marocaines accompagnée par un guitariste jazz franco-écossais, une violoncelliste classique germano-égytienne, un contrebassiste allemand, un pianiste italien, un batteur américain, cette chanteuse offre un sacré métissage.
Qu’elle rende hommage à son accordéon ou à une femme juive déportée, Mélinée nous raconte ses rencontres amoureuses avec des hommes ou avec des villes, les textes de Mélinée, sont à la fois personnels et poétiques, sensibles à l’univers. Dans sa chanson Fernsehturm, elle nous fait partager sa passion pour cette tour qu’elle trouve esthétiquement très belle, ”j’ai envie de croquer dans sa boule”, elle ressemble à une reine qui règne sur la ville et observe tous ses changements d’en haut”.
Bercé par de solides influences, son style reste pur, son univers intimiste et elle nous livre avec spontanéité et passion des petits bouts de vie émaillés de joies et de peines.
Une sacrée alchimiste.
Encore une fois, je me demande si on ne fait pas pousser plus vite les primevères en rêvant d’elles.
Pour en savoir plus :
- Aitor de Mendizabal (né en 1949) sculpteur, peintre et graveur, vit et travaille entre San Sebastián et Arcangues au Pays Basque. Après ses études supérieures aux Beaux Arts à l’Academia Di Belle Arti de Rome, il a reálisé de nombreuses expositions en France et en Espagne, avec notamment des oeuvres publiques et monumentales que l’on peut admirer à San Sebastián, Hernani, Ceret, Oloron, Belus ou Boulogne sur mer. Il a fait l’objet de publications, catalogues et ouvrages consacrés à son œuvre.
- Dans la course pour la survie, qui est le secret espoir de toutes les espèces vivantes, les défis sont les mêmes, que nous soyons humains, bactéries… ou arbres. L’examen ne résiste pas aux lois de l’évolution. La science a ses méthodes qui permettent de tracer cette vision individuellement. Ainsi les millions d’années d’évolution des arbres ont façonné espèces et sous-espèces. Organisés en « peuplades » formées de plusieurs essences, n’hésitant pas à s’entraider, à s’hybrider à chaque fois que la nécessité ou la survie l’imposait, ceux-ci ont patiemment accumulé les mutations qui se sont produites au cours de leur histoire, et renforcé leur polymorphisme génétique. L’espèce humaine, née il y a à peine deux à trois millions d’années, a envahi la terre entière en quelques centaines de milliers d’années seulement !Hégémoniques et imbus de leur supériorité, les hommes ont mal supporté de vivre avec les espèces différentes, et en ont éliminé souvent un bon nombre.Sur le plan de la richesse biologique, « nous » avons dilapidé nos ressources et notre diversité lors de notre expansion territoriale. Par malheur, une fois encore, et grâce à son pouvoir ravageur, l’homme rend de plus en plus inhabitable la planète.Puissant, l’arbre nourrit, abrite des multitudes d’espèces et son rôle est fondamental dans le cycle de vie de notre planète. Par lui, nous retrouvons un lien fort et intime avec la nature alors que l’homme paraît s’acharner à sa destruction. Voilà pourquoi mes arbres revisités ou sublimés dénoncent certaines activités humaines et la rapacité de notre « civilisation » qui asservit le végétal et le transforme génétiquement pour accroître son profit, détruisant et polluant l’eau, l’air et la terre. Aitor Mendizábal. Novembre 2021
- Haiku : poème d’origine japonaise extrêmement bref, célébrant l’évanescence des choses et les sensations qu’elle suscite