Après les annulations, ou plutôt les reports, de concerts auxquels ont dû se résoudre les organisateurs et les artistes invités, le public salue avec un bonheur évident le retour des musiciennes et musiciens un temps écartés des salles. C’est le cas de la grande pianiste Hélène Grimaud, que les fidèles de la saison des Grands Interprètes retrouvaient avec enthousiasme le 21 janvier dernier dans une Halle aux Grains particulièrement chaleureuse.
Sa dernière venue dans ce même cadre date de novembre 2014. Après une aussi longue absence, la belle pianiste conserve cette aura un peu mystérieuse qui la caractérise. La richesse de sa personnalité déborde de celle de l’artiste. Son implication dans la sauvegarde des loups, son engagement en tant que membre de l’organisme Musicians for Human Rights brossent le portrait d’une femme active, bien dans son époque. A l’occasion de son retour du 21 janvier dernier, Hélène Grimaud présentait à Toulouse cette fois encore un programme musical d’une étonnante originalité. C’est ce que réussit Hélène Grimaud dans une première partie éclatée entre une multitude de courtes partitions, comme autant d’éléments d’un puzzle qui dévoile peu à peu un paysage varié mais cohérent, attractif et inattendu. Elle parvient ainsi à créer une unité expressive dans la diversité des styles, des tonalités, des atmosphères. Tout au long de ce parcours, l’auditeur est comme convié à admirer un paysage changeant mais d’un charme constant. A l’ombre des forêts succède la beauté des cimes. La profonde réflexion accompagne la contemplation d’une nature bienveillante…
Hélène Grimaud caractérise elle-même ce premier volet comme « une séquence de miniatures cristallines capturant le temps » ! L’épisode initial est l’occasion d’une découverte pour la plupart des mélomanes. Celle du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov (né en 1937) dont deux Bagatelles, d’une infinie douceur encadrent la Première Arabesque de Claude Debussy. La nuance pianissimo nous entraîne aux confins du silence.
Suit alors un enchaînement d’une rare subtilité de courtes pièces signées de Chopin et de Debussy. Cette succession poétique est épicée des interventions hors norme d’Erik Satie et ses titres lunaires comme « Danses de travers » ou « Pièces froides »… On admire les couleurs des accords, la science d’un toucher raffiné, le sens des combinaisons tonales et harmoniques. Au passage, on s’immerge un temps dans la nostalgie de la Grande Valse brillante, de Chopin. La fin du voyage prolonge la poésie de Clair de lune et Rêverie, de Debussy, par celle de Satie, plus sérieux que ses titres ne le laissent croire.
La pianiste consacre la seconde partie du concert à un seul compositeur et une seule pièce. Les Kreisleriana op. 16, de Robert Schumann, dédiées à Chopin, illustrent parfaitement le caractère général de l’art du compositeur dont l’imagination ne connaît pas de limite. Ces « Fantasien für pianoforte » brossent le portrait de Johannes Kreisler, ce musicien quelque peu halluciné qui hante les œuvres de l’écrivain E. T. A. Hoffmann. L’agitation fébrile qui se manifeste épisodiquement tout au long de l’œuvre dicte à l’interprète une exécution tempétueuse et même sauvage, pleine de contrastes, comme pour prédire la folie qui s’emparera du compositeur vers la fin de sa courte vie. La dernière séquence de ce portrait se fond dans un silence inquiétant qui s’oppose à la sérénité de la première partie de soirée.
Acclamée par un public heureux de ces retrouvailles, Hélène Grimaud offre généreusement trois bis qui prolongent ce programme original. Il s’agit de trois Études-Tableaux de Rachmaninov : les n° 2, n° 3 et n° 8 de l’opus 33, le répertoire qui a marqué les débuts de la musicienne.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse