Avec son premier long-métrage Las Niñas (en salles depuis le 27 octobre 2021), Pilar Palomero propose un film sur le passage de l’enfance à l’adolescence de Celia, élévée par une mère célibataire à Saragosse en 1992. Dans cette société conservatrice, Celia évolue au milieu de son groupe d’amies, trouve sa place parmi elles, mais aussi au sein de sa propre famille. Cela pourrait sembler peu original, mais le traitement délicat sans cri fait met en avant encore davantage les douleurs de la jeune fille, merveilleusement interprétée par Andrea Fandos. Film d’une grande justesse et sensibilité, Las Niñas rappellent pour ces qualités Ete 93 de Carla Simon Pipó (les deux films ont la même productrice Valérie Delpierre).
Récompensé par quatre Goya (meilleur film, meilleur scénario original, meilleur nouveau réalisateur, meilleure photographie), Las Niñas était présenté en avant-première lors de la dernière édition de Cinespaña, où j’ai pu m’entenir avec sa réaliatrice Pilar Palomero.
Quel a été l’élément déclencheur à la base du film ?
J’ai voulu faire un film qui parlait de l’éducation des jeunes filles de mon époque, c’est-à-dire durant mon adolescence pendant les années 90. C’était une époque où normalement l’Espagne aurait dû laisser derrière elle toute la période franquiste, mais la société gardait encore beaucoup de la mentalité de ce passé. Pour l’anecdote, j’ai retrouvé un carnet en lien avec la religion, que j’avais en1992, où j’avais écrit une rédaction qui s’intitulait « la sexualité au service de l’amour ». Cela m’a paru très décalé qu’en 1992 on parle encore de la chasteté, et très peu de l’usage des préservatifs, et de l’avortement, alors que l’Espagne était euphorique avec les Jeux Olympiques à Barcelone, l’Exposition Universelle à Séville. On avait d’un côté l’idée que l’Espagne était aussi moderne que les autres pays européens, alors que la société était encore tellement ancrée dans son passé. Entre le moment où j’ai retrouvé cette rédaction et le moment où j’ai écrit le film se sont écoulées plusieurs années.
Combien de temps pour écrire le scénario ?
C’est assez difficile à estimer parce que j’ai pensé pendant au moins cinq ans au scénario avant de me lancer dans l’écriture. Une fois que j’ai commencé à écrire, il m’a fallu deux ou trois ans de plus pour le finir, à l’écrit. Et une fois le tournage fini, le montage a encore modifié le scénario que j’avais écrit.
Je n’ai pas pensé à la structure du film, mais plutôt aux expériences qu’allait vivre Celia, comment la relation avec ses amies allait lui permettre de s’ouvrir au monde, et permettre le passage de l’enfance à l’adolescence. C’est ce voyage intérieur qu’elle va entreprendre qui était important pour moi : entre le début et la fin du film, constater qu’elle a changé, qu’elle devient un peu une autre personne.
En comparaison avec d’autres films sur le passage de l’enfance à l’adolescence, c’est d’un personnage extérieur au groupe soudé que viennent les attaques, ou des propos cruels. Dans Las Niñas, c’est la grande sœur de son amie, qui fait partie du groupe, qui les tient.
Pour moi, dans la scène à laquelle tu fais référence, les mots sont cruels, mais le personnage de la grande sœur n’est pas réellement cruel : elle est plutôt le résultat des messages qu’elle a reçus et perçus de la société qui l’entoure. Tout ça fait qu’elle agit ainsi.
Votre film a très peu de dialogues qui expriment les sentiments. La mère et la fille communiquent par gestes, comme avec le rituel du parfum le matin. Les dialogues ont-ils disparu au fil des versions du scénario, ou du tournage ?
Cet exemple que tu cites était déjà écrit au scénario, mais il y a eu beaucoup de changements au moment du tournage, des ajouts mais aussi des choses qui ont été supprimées. Pendant les six semaines et demi où nous avons tourné, beaucoup de scènes ont eu pour base de l’improvisation. Au moment du casting, c’était assez difficile car je ne voulais pas que ces jeunes filles interprètent un rôle, mais plutôt qu’elles soient elles-mêmes. Je leur ai demandé d’improviser pour savoir comment elles allaient réagir. Par exemple, la scène avec les préservatifs était écrite. En leur donnant, je leur ai dit « faites-en ce que vous en voulez, jouez avec si vous le souhaitez ». J’ai réussi à avoir la réaction personnelle de chacune des actrices, vis-à-vis d’elle-même et pas vis-à-vis du rôle. C’est ce que j’ai voulu faire durant tout le tournage : faire ressortir la personnalité de chacune actrice. Donc les dialogues que j’avais écrits ont beaucoup changé.
Comment avez-vous trouvé le ton juste pour reconstituer la société de 1992 ?
Cette histoire comporte une part assez grande d’autobiographie. Je me suis basée sur mes souvenirs, mes expériences, pour raconter cette histoire de manière la plus honnête possible, à partir de ce que j’ai vécu. En conséquence, je ne me suis pas demandé s’il s’agissait de clichés ou non, j’ai seulement essayé d’être fidèle et rigoureuse à mes souvenirs, mes expériences. C’est pour ça que j’ai montré une scène où les filles voient une projection de Marcelino Pan y Vino qui date de 1956. C’est un très bon film, qui a eu du succès en Espagne, au Portugal et aussi en Amérique latine. Je l’ai aussi vu à l’école, avant 1992. Lui et d’autres faisaient partie des films proposés, qui reflétaient la mentalité des établissements scolaires tenus par des sœurs.
L’absence de rôle masculin vient-elle aussi de vos souvenirs ?
En effet, leur absence n’est pas quelque chose que j’ai cherché à faire. Je me suis basée sur mes propres souvenirs de cette époque-là, et je me trouvais dans un univers très féminin : tous mes professeures étaient des femmes, et il n’y avait pas de garçon autour de moi. Les seules personnes masculines étaient le curé ou le médecin, mais je n’avais pas de liens avec eux, d’où leur absence dans le film. Les seuls présents dans le film sont eux aussi issus de mes souvenirs : les garçons à la discothèque.
Combien de temps a duré le montage ?
Deux mois, où nous avons enlevé des choses dans le but de se concentrer sur le voyage émotionnel de Celia. Le film commençait sur une grande affiche de publicité pour les préservatifs, puis on avait la scène de répétition de la chorale. Au moment du montage, on a décidé de couper la première scène sur l’affiche pour que le film commence directement avec la chorale qui s’arrête au moment où elles prennent leur respiration. Dès le scénario, je savais que la chanson ne serait entendue qu’à la scène finale du film.
Le choix du titre : pourquoi Las Niñas et pas La Niña ou Una niña puisqu’il suit Celia ?
Pendant que j’écrivais le scénario, je me suis aperçu que « las niñas » était très souvent répété, quand les sœurs s’adressaient aux groupes de filles, souvent suivi d’un ordre « les filles, silence », « les filles, ouvrez vos cahiers », « les filles, mettez-vous en rang à droite ». L’emploi de « niñas » reflète un certain paternalisme et une condescendance. Je l’ai gardé pour le titre, même si je montre en effet le parcours d’une seule d’entre elles, Celia.
Financer un tel film a-t-il été facile ?
Las Niñas a coûté moins d’un million d’euros, ce qui pour l’Espagne est un financement assez bas. C’est un film indépendant. Le plus dur sur ce film a été de trouver les financements. Quand nous avons fait la demande pour les avoir, il s’est écoulé un an, même plus, avant d’avoir la réponse, au point que nous n’étions pas sûrs de pouvoir faire le film.
Le fait de recevoir des Goya va-t-il faciliter le financement du prochain projet ?
Je ne sais pas car mon prochain film a reçu les financements avant la cérémonie des Goya. On peut imaginer que de recevoir des Goya peut faciliter l’obtention des financements, mais je pense que cela dépend aussi des années, de la nature-même du projet. Je commence mon nouveau film la semaine prochaine, qui abordera la maternité durant l’adolescence, il s’appelle pour le moment La Maternal (NDLR : film produit par Valérie Delpierre).
Quels retours avez-vous eus des spectateurs en Espagne ?
L’accueil du public a vraiment été très bon. Nous étions très heureux et très reconnaissants car cela a dépassé toutes nos attentes. Je suis curieuse de savoir comment le public français va le recevoir.
Je ne peux parler qu’en mon nom, j’ai vu beaucoup de similitudes entre mon année 1992 et celle de Celia. J’ai grandi à la campagne, où l’héritage de l’éducation religieuse était plus présent qu’en ville…
Je pensais que la France de 1992 était plus ouverte, mais je pense que la différence campagne-ville explique cela. C’est vraiment très gratifiant pour moi de constater que le film peut créer des connections chez le spectateur avec ses propres souvenirs, à son enfance ou son adolescence.
De quoi êtes-vous le plus fière sur ce film ?
J’ai vraiment beaucoup apprécié de travailler avec les actrices, car je me suis moi-même sentie redevenir jeune fille.
Pour d’autres informations au sujet du film, lire le dossier de presse.
Merci au festival Cinespaña d’avoir permis cette rencontre, à Rosalie et à Morgane d’avoir assuré la traduction !
En partenariat avec Epicentre, nous sommes très heureux de vous offrir des invitations pour aller voir le film Las Niñas en salles. Pour gagner, envoyez un mail intitulé « Concours Las Niñas » à l’adresse carine_trenteun@yahoo.fr, en mentionnant vos nom et prénom, adresse postale et c’est tout : plaisir d’offrir !
Et le concours pour gagner des DVD du film Une vie secrète, toujours en partenariat avec Epicentre, est toujours en cours.
Bonne chance !