En 2010, Claude Durand, qui venait de quitter Fayard, jouait, dans un roman à clefs, à inventer une nouvelle discrimination : le racisme anti-roux. Ce que l’éditeur avait entrepris pour une couleur de cheveux, Didier Desrimais, chroniqueur à Causeur, l’a radicalisé en l’étendant aux crânes déplumés. Dans une savoureuse Lettre sur les chauves, il parodie avec beaucoup d’esprit les discours des victimes professionnelles, qui ont envahi, depuis trente ans, tout le champ politique.
Tout est fait, explique le satiriste, pour empêcher les chauves d’être visibles : la société est en effet entièrement dominée par les non-chauves. « C’est cette invisibilisation qu’il faut revisibiliser, c’est-à-dire repositionner sur l’échiquier des combats politiques et intersectionnels des mouvements minoritaires qui interrogent la norme pour la déconstruire. » Ce n’est pas seulement drôle, c’est terriblement significatif de la langue caoutchouteuse dont les victimes professionnelles se servent.
C’est aussi l’occasion pour Desrimais de brocarder les sociologues, les journalistes, les écrivains, les députés, apparaissant ici sous de transparents cryptonymes. Ils se sont ralliés, sans aucun esprit critique, à ces mouvements – ici, la « cause chauviste ». Et ils proposent, pour « revisibiliser » les crânes d’œuf, des solutions toutes plus cocasses les unes que les autres. On pourrait, disent-ils, organiser des bald prides, pour que s’exprime enfin la fierté sans cheveux ; « dépoussiérer les arts », tout entiers acquis, depuis toujours, aux échevelés, et débaptiser les œuvres discriminantes (Moussorgski pourrait ainsi avoir composé Une nuit sur le mont Hirsute) ; ou supprimer l’accent circonflexe, véritable provocation jetée aux chauves de tout poil.
On aura compris que cette Lettre sur les chauves est d’abord une critique de la domination que certaines communautés exercent sur les esprits. Dans une société chevelue, les Yul Brynner du quotidien espéraient un défenseur ; ils l’ont trouvé chez Didier Desrimais – dont la photo de quatrième montre d’ailleurs qu’il est de parti pris.
L’auteur poursuit sa critique du monde contemporain dans un deuxième livre, moins parodique : Les Gobeurs, chez le même éditeur. Ces textes tiennent du pamphlet et de la confession. Ils attaquent le littérairement correct, le sectarisme écologique, la déconstruction sexuelle ; et les approbateurs de l’époque – intellectuels, artistes, militants, journalistes, acteurs –, qui étaient déjà visés dans le livre précédent.
Didier Desrimais, Lettre sur les chauves, Ovadia, 84 pages, 12 € ; Les Gobeurs, Ovadia, 223 pages, 20 €
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