Haut fonctionnaire toulousain, Marc Laborde a baigné dans le monde des arts et de la musique depuis sa plus tendre enfance. Ce Dix-septièmiste convaincu est un amoureux de l’art ancien, de l’abstraction lyrique et du dessin. Chez Marc Laborde, point d’image sans musique. A chaque tableau, sa sonorité musicale. Rencontre avec un collectionneur aux goûts éclectiques et affirmés.
Culture 31 : Marc Laborde, vous avez fait carrière en tant que haut fonctionnaire, directeur du CRDP (Centre régional de documentation pédagogique) et du CNED (Centre national d’enseignement à distance). Comment est née votre passion de collectionneur ?
Je suis issu d’une famille de Toulousains. Après le lycée Pierre de Fermat, j’ai étudié en Hypocagne. L’art a toujours beaucoup compté dans ma famille. Mon grand-père paternel par ailleurs Directeur général de la SNCF, achetait beaucoup de petits peintres pour les soutenir, comme Pierre Gaubert, pyrénéiste pour lequel j’ai posé à l’âge de 16 ans, en 1972. Ensemble, nous allions souvent visiter des ateliers d’artistes.
Mon père a très bien connu Bernard Buffet, Poussette, le peintre de Montparnasse, qui jouait du jazz à St Germain des Près… Moi, j’ai eu la chance de rencontrer le grand critique d’art Philippe Dagen en classes préparatoires. Nous sommes devenus très amis dès cette époque. Nous allions voir des expositions à Aix en Provence, Toulon… Son père, Jean Dagen, était mon directeur de thèse sur la littérature du 17ième siècle. Cela m’a offert l’occasion de rencontrer Sollers, Templon… finalement de nombreux grands artistes, peintres et écrivains. C’est d’ailleurs chez Jean Dagen que j’ai vu mon premier tableau de Debré, aux couleurs vermillon, la rencontre s’est faite à ce moment-là. Cette peinture m’avait fascinée. A Toulouse, j’ai très bien connu le galeriste Jacques Girard à qui j’ai acheté ma première oeuvre : une lithographie d’Olivier Debré justement intitulée Le bord de Loire (région où vivait le peintre né en 1920 ndlr). Je devais avoir environ 25 ans. J’ai même rencontré l’artiste par la suite.
Donc l’envie d’acheter des oeuvres est arrivée très tôt, comme un besoin existentiel.
Culture 31 : Au-delà de la rencontre avec un artiste existe celle avec l’oeuvre d’art. Quel dessin symbolise le mieux votre univers ?
Je suis assez éclectique dans mes choix artistiques, mais je dirais que la lithographie d’Olivier Debré marque un moment phare. Un ami à moi disait qu’il achetait des oeuvres en raison de leur histoire, moi j’ai besoin de connaître l’environnement de l’oeuvre, mais surtout de ressentir une vibration. S’il n’y a pas cette vibration, ce plaisir de regarder une oeuvre tous les jours sans s’en lasser, ça n’a pas de sens.
Culture 31 : Quel lien faites-vous avec la musique ?
A travers ma collection, j’ai prêté de nombreuses oeuvres mais Le Debré lui, n’est jamais sorti de chez moi. J’ai toujours été sensible à cette abstraction lyrique qu’incarne bien ce tableau. Il s’appelle Le bord de Loire, mais on y voit ce que l’on veut. Cette oeuvre a été reproduite et illustrée pour la programmation du Festival d’Aix en Provence. Debré a été choisi pour réaliser le rideau de scène de l’Opéra de Pékin.
C’est la première épreuve d’artiste. Un ami d’enfance y voit « une forêt enchantée », moi, un paysage imaginaire en guise de décor d’opéra. Durant ces 35 dernières années, je ne m’en suis jamais lassé. Ce Debré, c’est mon univers et des rencontres, la rencontre avec son créateur Olivier Debré (fils de Michel Debré), que j’ai eu la chance de rencontrer. Chez l’artiste, on s’ouvre au plaisir et à l’imaginaire.
Mon grand-père paternel était aussi un grand amateur d’art lyrique, d’opéras.
Etudiant, j’étais plongé dans la musique classique et ma première critique musicale s’est faite sur le violoncelliste Mstislav Rostropovitch, vous imaginez ! un monstre sacré ! Je reste un grand amateur de l’abstraction lyrique. J’ai d’ailleurs fondé un site internet appelé UTMISOL qui informe les visiteurs sur les opéras, les concerts et festivals régionaux, toute l’actualité lyrique du moment.
Culture 31 : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre collection de dessins ?
Les oeuvres sur papier m’ont toujours attiré, notamment les dessins. Je dois en avoir aujourd’hui une cinquantaine, datées du 16ème au 21ième siècle. La dernière acquisition en date est celle du fondateur de l’école de Barbizon, Théodore Rousseau, premier peintre à avoir peint un paysage en pleine nature entre 1840 et 1850. Je l’ai obtenu dans une très belle vente aux enchères à Auch.
Voici une aquarelle d’Henri Rivière achetée chez la maison de vente aux enchères toulousaine Primardeco. Peintre, graveur et illustrateur français, il est devenu célèbre pour ses aquarelles des rues de Paris et ses bords de mer. J’aime aussi beaucoup le petit André Lhote, période cubisme, le dessin de Jacques Germain ou le Pasquin, mais de la même manière, l’art Dogon m’intéresse particulièrement.
Culture 31 : Vous dites que dans une collection, les murs sont aussi importants que les tableaux. La nature comme l’architecture y sont souvent représentées…
Je suis un « urbain », j’aime particulièrement l’architecture. L’immeuble que j’habite est d’ailleurs très intéressant par ses caractéristiques Art-déco.
J’ai été longtemps directeur du CNED à Toulouse et du CRPD, actuel Canopé situé dans le quartier des Chalets, en tant que Directeur régional des 13 départements. Mes fonctions m’ont amené à beaucoup voyager, notamment au Royaume-Uni.
Quand j’ai été nommé au CRDP, je travaillais dans un très bel hôtel particulier appartenant à la famille Bardou (papier à cigarettes Job), grande famille d’industriels et de collectionneurs. Dans cet immeuble en très mauvais état que j’ai fait restaurer avec l’architecte des bâtiments de France, j’ai aussi utilisé l’espace pour en faire une galerie d’art de 2010 à 2020. Nous avons exposé de grands noms comme le surréaliste Paul Duchein, Jean Dieuzaide, Bernard Vié, j’ai fait découvrir au public de jeunes artistes aujourd’hui mondialement reconnus.
Culture 31 : L’art peut-il être selon vous un bon placement financier ?
L’art n’a jamais connu les crises économiques. Mais pour ma part, je n’ai jamais conçu l’achat d’oeuvre d’art comme un placement financier. Je pense même avoir acheté certaines oeuvres au prix fort. Si aujourd’hui on me demandait de me séparer de certaines oeuvres, j’aurais beaucoup de mal. Le Debré serait l’une des choses dont je ne me séparerais pas.
Il existe des objets, des livres qui font partie de notre construction familiale. Par exemple, ce Makimono (« Chose qu’on enroule »), une peinture sur soie initialement présentée sous forme de rouleau est le premier objet rentré en France à l’époque Meiji lorsque le Japon a ouvert ses frontières en 1848. C’est une oeuvre familiale inestimable. On y aperçoit un village de pêcheurs, des samourais, avec au loin le mont Fuji et cette brume laiteuse caractéristique des paysages japonais, le tout dessiné dans une grande minutie. Certains commissaires-priseurs auraient donné cher pour que je mette cette oeuvre en vente.
Culture 31 : Au regard de la mondialisation et du marché artistique au sein des capitales européennes notamment, est-il encore possible d’acheter des antiquités ou de l’art à Toulouse ?
Je trouve catastrophique de ne plus trouver suffisamment d’antiquaires à Toulouse. Il n’en reste quasiment plus. Plus de bouquinistes non plus. La démocratisation des ventes aux enchères à travers l’apparition d’internet a bousculé le marché de l’art dans son ensemble. Grande rectrice de l’académie de Toulouse, Hélène Bernard était à mes yeux la grande figure qui voulait ouvrir le nouveau rectorat à l’art. Elle a été l’une des seules à me soutenir lorsque nous avons ouvert ce lieu historique avec la famille Bardou pour présenter des oeuvres.
Le directeur du Musée Fabre réalise des expositions admirables. Et la mairie suit. J’ai moi-même publié des ouvrages en collaboration avec le Musée Fabre sur la sculpture en partenariat avec le Louvre. Une ville de la taille de Toulouse, 4ième ville de France pourrait être plus attractive, au-delà de sa stature internationale dans le milieu de l’opéra.
Bordeaux, Marseille, Montpellier proposent des offres culturelles incroyables et économiquement porteur. Combien de gens se déplacent pour aller visiter le musée Soulages à Rodez ou celui de Toulouse-Lautrec à Albi !
Je ne peux m’empêcher de citer le Cardinal Mazarin qui a légué ses plus belles collections d’art à son filleul Louis XIV. Au moment de mourir, il disait à Colbert : « Et dire qu’il va falloir quitter tout cela ! ». L’art est indispensable.
Photo Marc Laborde © Pierre Beteille / Culture 31